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Ézéchias, la croix et la Pachamama : quand l’idole devient icône

  • Photo du rédacteur: Cyprien.L
    Cyprien.L
  • 5 sept.
  • 14 min de lecture
La découverte d’une bulle d’Ézéchias intrigue : comment un roi réformateur a-t-il utilisé des symboles païens ? L’archéologie et le Concile Vatican II montrent que la foi n’avance pas par ruptures parfaites mais par une pédagogie progressive, discernant entre l’idole qui enferme et l’icône qui élève. Une réflexion qui rejoint nos débats actuels autour de la Pachamama et de l’inculturation.
Ézéchias, archéologie et Vatican II : idole ou icône ?

Introduction


En 2015, des archéologues mirent au jour, près de l’Ophel à Jérusalem, un petit fragment d’argile qui allait faire couler beaucoup d’encre : une bulle d’Ézéchias, roi de Juda au VIIIe siècle avant notre ère. Sur ce sceau officiel, on lit en caractères hébraïques : « appartenant à Ézéchias, fils d’Achaz, roi de Juda ». Mais ce qui intrigue davantage que l’inscription, ce sont les symboles qui l’accompagnent : un disque solaire ailé et deux ankhs, signes empruntés à l’iconographie égyptienne. Comment comprendre qu’un roi décrit par la Bible comme un réformateur zélé, destructeur d’idoles et modèle de fidélité envers le Dieu d’Israël, ait pu apposer sur son sceau royal des emblèmes si manifestement païens ?


La première réaction serait d’y voir une contradiction flagrante, la preuve d’un syncrétisme généralisé dans le Juda d’alors, loin de l’image idéalisée que donne le récit biblique. Mais la question mérite d’être posée autrement : ces symboles doivent-ils être lus comme des idoles cultuelles, ou comme des icônes politiques, c’est-à-dire des signes de pouvoir circulant dans tout le Proche-Orient ancien ? Et plus profondément, cette tension entre fidélité religieuse et usages culturels ne nous dit-elle pas quelque chose de la manière dont Dieu conduit son peuple dans l’histoire ?


Car derrière la bulle d’Ézéchias, ce qui se joue, c’est le drame permanent de la foi : entre polythéisme et monothéisme, entre souplesse et rigorisme, entre l’idole qui enferme et l’icône qui ouvre. De Juda au jansénisme, de l’Exil à Vatican II, jusqu’aux polémiques contemporaines autour de la Pachamama, cette petite pièce d’argile devient une parabole : elle nous invite à discerner entre ce qui doit être détruit et ce qui peut être assumé et transfiguré.


I. Le contexte religieux : polythéisme, henothéisme et monothéisme


Pour comprendre l’étonnant sceau d’Ézéchias, il faut d’abord replacer Juda dans son environnement religieux. Le Proche-Orient ancien n’était pas un monde monothéiste : il était profondément polythéiste. Chaque cité, chaque royaume possédait son panthéon, ses dieux protecteurs, ses cultes. Israël et Juda, malgré leur vocation singulière, n’échappaient pas à cette atmosphère saturée de divinités.


Les premiers textes bibliques eux-mêmes en portent la trace : YHWH apparaît d’abord aux côtés d’El, le grand dieu cananéen, ou face à Baal, le dieu de l’orage. La Bible ne nie pas d’emblée l’existence des autres dieux, elle affirme progressivement que YHWH seul est le Dieu d’Israël. C’est ce qu’on appelle un henothéisme : non pas l’affirmation qu’il n’existe qu’un seul Dieu, mais l’exclusivité donnée à YHWH dans le culte.


Les prophètes du VIIIe siècle, comme Osée ou Amos, sont les témoins de cette étape. Osée ne cesse de dénoncer l’infidélité du peuple qui « court après Baal » (Os 2,15), mais sa préoccupation n’est pas encore d’affirmer un monothéisme philosophique : elle est de rappeler qu’Israël ne doit adorer qu’un seul Dieu, son Époux, YHWH. Même le taureau, souvent symbole d’El et utilisé comme représentation de YHWH dans le Nord, devient pour lui un danger : non parce qu’il représenterait un autre dieu, mais parce qu’il pervertit le vrai culte de YHWH.


Ce n’est qu’à l’époque de l’Exil, au VIe siècle avant notre ère, que l’on trouve dans la Bible l’affirmation claire d’un monothéisme strict. Dans le Deutéro-Isaïe, on lit : « Je suis YHWH, il n’y en a pas d’autre » (Is 45,5). Là, la bascule est faite : il n’y a pas seulement un Dieu pour Israël, mais un seul Dieu pour tous les peuples.


Ézéchias se situe donc dans ce moment de transition. Avec lui et, plus tard, Josias, s’affirme un mouvement “Yahweh-seul” : centralisation du culte à Jérusalem, destruction des hauts lieux et des idoles, mais dans un peuple où persistent encore les anciennes habitudes, les figurines d’Ashera et les influences païennes. C’est ce contraste qu’exprime la bulle d’Ézéchias : une foi en chemin, pas encore un monothéisme achevé, mais une fidélité qui progresse.


III. Le débat sur l’iconographie d’Ézéchias : symbole païen ou langage de pouvoir ?


La bulle d’Ézéchias fascine parce qu’elle place sous nos yeux une tension : un roi présenté comme réformateur et pourtant des symboles païens sur son sceau. Depuis sa découverte, les chercheurs débattent de l’origine et de la signification de ces motifs.


Le grand bibliste Frank Moore Cross, dans Biblical Archaeology Review, a soutenu que le disque solaire ailé d’Ézéchias était une icône « égyptianisée » mais médiée par la Phénicie. Autrement dit, Juda n’aurait pas copié directement l’Égypte, mais aurait reçu ce motif déjà adapté dans l’iconographie de villes comme Tyr ou Byblos, où le disque ailé circulait largement comme emblème de pouvoir.


Meir Lubetski, dans le même journal, a critiqué cette hypothèse en affirmant que l’influence venait directement d’Égypte, et que Cross compliquait inutilement la chaîne de transmission. Mais Lubetski a lui-même été contesté : ses interprétations de l’inscription ne faisaient pas consensus, et plusieurs lecteurs lui ont reproché de négliger la circulation multiforme des symboles dans le Proche-Orient ancien.


Une troisième voix, celle de l’archéologue Robert Deutsch, propose une lecture plus globale : à l’époque d’Ézéchias (VIIIe–VIIe siècle av. J.-C.), ces symboles n’étaient déjà plus des emblèmes cultuels, mais des signes internationaux de pouvoir royal. Le disque solaire ailé, les ankhs, ou encore le scarabée étaient utilisés de l’Égypte à la Phénicie, de l’Assyrie à Juda, comme un langage visuel commun, vidé en grande partie de son contenu religieux. Ils signifiaient autorité, protection, légitimité, sans renvoyer à un culte particulier.


Les parallèles abondent : disques solaires sur des sceaux phéniciens, ankhs sur des sceaux judéens, le dieu égyptien Bes peint sur des jarres de Kuntillet ‘Ajrud, coiffures égyptiennes sur des figurines d’Ashera… Tout cela montre que Juda participait à un fonds iconographique régional, que chacun adaptait sans nécessairement importer le culte associé.


La bulle d’Ézéchias ne doit pas être lue trop rapidement comme un signe de trahison religieuse. Elle illustre plutôt la distinction fondamentale entre icône et idole : un même objet peut être idolâtrie s’il devient objet de culte, ou simple icône s’il est utilisé comme langage culturel et politique. Ézéchias, en choisissant ces symboles, ne sacrifiait pas à Rê ou à Osiris, il adoptait un vocabulaire visuel reconnu, pour affirmer sa royauté face aux grandes puissances de son temps.


IV. Répondre à l’objection d’« apologétique »


Certains critiques modernes voient dans ce type de lecture un simple stratagème apologétique. Ils affirment que parler de « pédagogie divine » revient à maquiller l’histoire : en réalité, disent-ils, Juda n’a jamais été monothéiste à l’époque d’Ézéchias, et l’archéologie prouve que la religion abrahamique n’était qu’un syncrétisme parmi d’autres. Pourquoi alors continuer à parler de Révélation, sinon par fidélité dogmatique ?


Cette critique mérite d’être prise au sérieux. D’abord, il faut reconnaître les faits : oui, Juda de l’époque n’était pas un monothéisme pur et parfait. Les statuettes d’Ashera, les inscriptions mentionnant « YHWH et son Ashera », les emprunts iconographiques à l’Égypte et à la Phénicie le confirment. Et l’article ne cherche en aucun cas à nier ces données.


Mais réduire la foi biblique à une incohérence revient à oublier que la Bible elle-même assume cette complexité. Les auteurs sacrés ne cachent pas les infidélités d’Israël : ils racontent les réformes, les rechutes, les compromis, les idoles détruites et celles qui subsistent. Le serpent d’airain, donné par Dieu lui-même, a dû être brisé par Ézéchias quand il devint objet d’idolâtrie. Ce réalisme est l’une des marques propres de la Révélation biblique : elle ne parle pas d’un peuple parfait, mais d’un peuple conduit pas à pas.

C’est précisément ce que les Pères de l’Église avaient perçu. Irénée de Lyon parlait d’« économie de la Révélation » : Dieu éduque l’humanité comme un père ses enfants, en tenant compte de leur âge spirituel.


Grégoire de Nazianze rappelait que Dieu « se révèle selon la capacité de ceux qui le reçoivent ». Augustin voyait dans l’histoire biblique une suite de préparations jusqu’au Christ. La notion de pédagogie divine n’est donc pas une invention moderne pour sauver les apparences : elle est au cœur de la tradition chrétienne.


Il est vrai cependant que, face à l’essor de la critique historique et de l’archéologie au XIXe siècle, l’Église a parfois eu des réactions de défense. Mais il faut se rappeler le contexte : au même moment, l’Église était frappée par des persécutions brutales. En France, des prêtres furent massacrés pendant la Révolution, des congrégations dissoutes au XIXe siècle, des évêques et des fidèles persécutés sous les lois anticléricales de la IIIe République. En Espagne, au début du XXe siècle, des milliers de religieux furent exécutés lors de la guerre civile. Dans ce climat de crise, où l’Église devait lutter pour sa survie, il n’est pas étonnant que son discours ait parfois pris des formes plus rigides, défensives, et qu’elle se soit méfiée des sciences perçues comme hostiles.


Le tournant décisif est venu avec le XXe siècle :– Pie XII, dans Divino afflante Spiritu (1943), a encouragé les exégètes à recourir aux sciences historiques et archéologiques.– Vatican II, dans Dei Verbum (1965), a consacré une vision claire : la Révélation est progressive, elle s’exprime dans et à travers les cultures humaines, et elle atteint sa plénitude en Jésus-Christ.


Aujourd’hui l’Église assume donc pleinement les données de l’archéologie : le peuple d’Israël est passé par un chemin de lente purification, du polythéisme environnant au monothéisme strict, sous l’action patiente de Dieu. Reconnaître cette évolution n’est pas une faiblesse, c’est au contraire prendre au sérieux l’incarnation historique de la foi.

Ainsi, loin de nier la réalité, l’approche catholique dit : oui, l’histoire d’Israël est traversée de contradictions, mais Dieu s’y révèle en conduisant son peuple pas à pas. C’est cette pédagogie divine que l’archéologie confirme plutôt qu’elle ne dément.


V. Icône vs idole : une clé biblique


L’histoire du serpent d’airain illustre à merveille la distinction entre l’icône et l’idole. Dans le désert, Dieu avait demandé à Moïse de façonner un serpent de bronze pour que quiconque le regarde après avoir été mordu puisse guérir (Nb 21,8-9). Cet objet n’était pas une idole : il ne détenait aucun pouvoir en lui-même, mais il renvoyait à l’action salvifique de Dieu. Il était un signe de la fidélité divine.


Or, quelques siècles plus tard, ce même serpent devint objet de culte idolâtre. Le peuple lui offrait de l’encens comme à une divinité. C’est pourquoi Ézéchias le fit briser (2 R 18,4). L’icône, ouverte sur Dieu, s’était transformée en idole, fermée sur elle-même.


Cette distinction éclaire la bulle d’Ézéchias. Les symboles égyptiens qu’elle porte – disque solaire ailé, ankhs – peuvent être lus comme des idoles s’ils deviennent supports d’un culte païen. Mais dans leur usage politique, ils sont des icônes : non pas des divinités, mais des signes de royauté et de protection, puisés dans le langage visuel commun du Proche-Orient.


Toute l’histoire biblique est traversée par ce discernement. Le Temple lui-même peut être icône ou idole : icône lorsqu’il oriente vers la présence de Dieu, idole lorsqu’il devient un fétiche de pierre, comme le dénonceront les prophètes. La Loi peut être icône, en conduisant au Dieu vivant, ou idole, lorsqu’elle se fige en prescriptions étouffantes.


La vraie fidélité ne consiste donc pas à fuir tout symbole par peur de l’idolâtrie, mais à en user comme d’icônes transparentes au mystère divin. Ézéchias nous rappelle que ce discernement doit être sans cesse renouvelé : briser l’idole quand elle enferme, conserver l’icône quand elle élève.


VI. De la pédagogie divine à Vatican II


Cette tension entre icône et idole, entre symbole à purifier et idolâtrie à briser, s’inscrit dans une logique plus large : celle de la pédagogie divine.


Les Pères de l’Église ont souvent décrit la Révélation comme un cheminement graduel. Irénée de Lyon parlait de l’« économie de la Révélation » : Dieu conduit l’humanité comme un père éduque son enfant, par étapes, en tenant compte de ses forces et de ses limites. Grégoire de Nazianze rappelait que Dieu « se révèle selon la capacité de ceux qui le reçoivent ». Augustin voyait dans l’histoire biblique une suite de préparations, de figures et de prophéties qui trouvent leur accomplissement dans le Christ.


Cette idée, enracinée dès les premiers siècles, a été reprise par le Concile Vatican II. Dans la constitution Dei Verbum (1965), les Pères conciliaires affirment que la Révélation s’est faite « par des actions et des paroles intrinsèquement liées », et qu’elle s’est « réalisée par étapes », jusqu’à sa plénitude en Jésus-Christ (DV 2). Autrement dit, Dieu n’impose pas d’emblée toute la vérité de manière abstraite : il parle à travers l’histoire, les cultures, les symboles.


L’archéologie confirme ce processus. Les figurines d’Ashera, les inscriptions de Kuntillet ‘Ajrud, les sceaux égyptianisés ne sont pas des anomalies gênantes qu’il faudrait cacher : ce sont les témoins de ce cheminement. Ils montrent un peuple encore marqué par son environnement, mais peu à peu purifié par les prophètes et les réformateurs, jusqu’à l’affirmation claire du monothéisme pendant l’Exil.


Ainsi comprise, la pédagogie divine n’est pas une pirouette apologétique, mais la manière même dont la foi biblique se donne à voir : une Révélation qui assume l’histoire réelle, ses lenteurs et ses contradictions, pour la conduire vers sa transfiguration. Vatican II a rappelé avec force cette vérité : la fidélité ne se mesure pas à une pureté abstraite, mais à la capacité d’accueillir l’action de Dieu dans la complexité du réel.


VII. Le judaïsme du Second Temple : de la souplesse au rigorisme


Sous Ézéchias, la fidélité à YHWH se vivait dans une certaine souplesse. La réforme était réelle – destruction des hauts lieux, centralisation du culte à Jérusalem – mais elle n’effaçait pas d’un coup toutes les pratiques domestiques héritées. Le roi pouvait être jugé « fidèle » tout en gouvernant un peuple encore traversé d’habitudes syncrétiques. La perfection, dans la perspective biblique, n’était pas une pureté glacée, mais une orientation du cœur et une lutte constante contre l’idolâtrie.


Quelques siècles plus tard, au temps du Second Temple, le contexte avait profondément changé. Les persécutions, l’occupation étrangère, les risques d’assimilation conduisirent le judaïsme à se crisper. Pour préserver son identité, le peuple multiplia les prescriptions, construisant autour de la Loi une « haie » destinée à protéger l’Alliance. Cette intention n’était pas mauvaise : elle répondait à la peur légitime de disparaître sous la domination grecque puis romaine. Mais ce qui était au départ une protection devint un carcan.


Les évangiles montrent Jésus affrontant ce durcissement. Il reproche aux scribes et aux pharisiens d’« imposer des fardeaux trop lourds à porter » (Mt 23,4) et de « laisser de côté l’essentiel : la justice, la miséricorde et la fidélité » (Mt 23,23). La Loi, donnée comme chemin de vie, risquait de se transformer en idole, enfermée sur ses prescriptions.


L’histoire biblique illustre un paradoxe constant : la souplesse pastorale d’Ézéchias avait permis une fidélité réelle dans un monde imparfait ; mais la crispation du Second Temple, née d’un désir sincère de pureté, mena à un légalisme qui étouffait la foi vivante. Ce même paradoxe réapparaîtra plus tard dans l’histoire chrétienne.


VIII. Le miroir chrétien : jansénisme, Révolution et Vatican II


Ce mouvement de balancier – souplesse vivante d’un côté, rigidité étouffante de l’autre – n’a pas concerné seulement Israël. L’Église, elle aussi, a traversé de telles tensions.


Au XVIIe siècle surgit le jansénisme. Ce courant, né de la lecture rigoriste de saint Augustin par Cornelius Jansen, prônait une vision sévère de la grâce : rare, presque inaccessible, réservée à quelques élus. La vie chrétienne devenait un chemin étroit, dominé par la crainte plus que par la confiance. La morale, en particulier la morale sexuelle, fut marquée par une dureté extrême. L’eucharistie elle-même devint objet de scrupules : les fidèles ne communiaient plus qu’une fois l’an, et toujours à genoux, parfois après des années sans s’approcher du sacrement. Des prescriptions absurdes s’imposèrent, comme entrer ou sortir de l’église à reculons par respect pour le tabernacle, réduisant la liturgie à un théâtre de gestes humiliants.


Comme au temps des Pharisiens, l’intention de départ était sincère : défendre la pureté de la foi. Mais cette « haie protectrice » se changea en mur infranchissable. Le Christ, venu dire que « le sabbat est fait pour l’homme » (Mc 2,27), semblait à nouveau enseveli sous une avalanche de règles. Beaucoup de fidèles se découragèrent et s’éloignèrent de la vie sacramentelle.


Dans ce climat, l’Église elle-même entra en crise. Le rigorisme janséniste, allié aux tensions politiques de l’époque, nourrit un rejet grandissant. Lorsque vint la Révolution française, ce rejet éclata avec violence : massacres de prêtres, profanations, suppression des ordres religieux. L’excès de rigidité avait préparé l’excès inverse : une tentative de déracinement du christianisme. Comme sous le Second Temple, l’addition de prescriptions étouffantes et de persécutions extérieures mit à l’épreuve la foi vivante.


Face à cet héritage, le concile Vatican II (1962–1965) voulut opérer une purification. Non pas une révolution destructrice, mais un retour aux sources. Comme Ézéchias brisant le serpent d’airain devenu idole, Vatican II libéra les signes de leur rigidité. La liturgie retrouva sa simplicité antique : communion dans la main, langue vivante du peuple, participation de tous. La Parole de Dieu fut remise au centre de la vie chrétienne. Le Concile n’a pas rejeté la tradition, il l’a restaurée ; il n’a pas aboli les symboles, il les a rendus transparents à nouveau au mystère qu’ils portent.


Ainsi l’histoire de l’Église rejoue le même drame : la fidélité vivante, menacée tour à tour par le syncrétisme qui dilue et par le rigorisme qui étouffe. Vatican II, comme jadis Ézéchias, a montré que la vraie fidélité ne consiste pas à accumuler des règles, mais à garder vivant l’esprit de l’Alliance.


IX. Lecture contemporaine : Pachamama, discernement jésuite et retour de l’occulte


Ce même discernement s’invite jusque dans nos débats les plus récents. En 2019, lors du Synode pour l’Amazonie, des statues de femmes enceintes furent présentées dans un cadre de prière. Plusieurs y virent la représentation de la Pachamama, divinité andine de la terre et de la fécondité. Les réactions furent immédiates : pour certains, il s’agissait d’une inculturation légitime, reconnaissant la valeur spirituelle des cultures locales ; pour d’autres, c’était une idolâtrie introduite au cœur même de l’Église.


La vérité, comme souvent, demande nuance. Dans son contexte originel, la Pachamama est bien une divinité, et donc une idole au sens biblique.


L’Église ne peut ni ne doit l’assumer comme telle. Mais il y a dans cette figure des valeurs universelles que la foi chrétienne peut reconnaître et purifier : la maternité, le respect de la création, la gratitude pour la fécondité de la terre. Ce travail de discernement est précisément celui de la tradition jésuite, héritée de saint Ignace de Loyola, il insiste sur un principe simple : ne rien rejeter trop vite, mais tout éprouver à la lumière des fruits qu’une réalité porte dans l’Esprit. Dans les Exercices spirituels, Ignace invite à « chercher et trouver Dieu en toutes choses ».


Cela ne signifie pas tout approuver, mais exercer un discernement patient :


– Observer ce qu’un symbole suscite : paix, charité, ouverture au prochain → alors il peut être reçu comme signe de Dieu.


– Constater au contraire qu’il engendre orgueil, division, fermeture → alors il faut le rejeter comme idole.


Cette pédagogie évite les deux écueils : le syncrétisme naïf qui avale tout sans discerner, et le rigorisme destructeur qui casse sans purifier. Elle rejoint le geste du Christ lui-même, qui assume la croix païenne pour en faire l’arbre de vie.


L’histoire montre que la voie destructrice est stérile. Détruire un symbole par peur ne fait souvent que le renforcer dans l’ombre. Ce qui n’est pas assumé ressurgit tôt ou tard, parfois de manière plus inquiétante. La France contemporaine en offre un exemple : la montée en puissance des pratiques de sorcellerie et d’occultisme traduit un désir spirituel refoulé, qui revient par la porte de l’ombre faute d’avoir trouvé un chemin de transfiguration.


Les Pères du désert l’avaient déjà pressenti : « Ce qui n’est pas assumé ne sera pas sauvé », que reprendra d'ailleurs Saint Grégoire de Nazianze. Et Saint Séraphim de Sarov, lui, affirmait que l’Esprit Saint sanctifie tout ce qu’il touche. La mission de l’Église n’est donc pas de nier ou d’effacer les symboles, mais de les assumer pour les purifier. Le Christ lui-même a assumé l’un des symboles les plus païens qui soit : la croix, instrument romain de supplice et d’humiliation, qu’il a transformée en arbre de vie.


C’est pourquoi les débats autour de la Pachamama ne sont pas un accident marginal, mais une répétition du même dilemme : idole ou icône ? Refoulement ou purification ? Dans chaque culture, dans chaque époque, le choix se rejoue.


Conclusion


La bulle d’Ézéchias n’appartient pas seulement aux vitrines d’un musée ou aux notes des spécialistes : elle nous met devant une question universelle. Comment un peuple, une Église, une civilisation discernent-ils entre ce qui doit être brisé et ce qui peut être transfiguré ? Comment une foi vivante habite-t-elle les symboles d’un monde qui n’est jamais neutre ?


Nous entrons dans une époque où ces questions deviennent brûlantes. Les sociétés occidentales se déchirent entre un rationalisme qui voudrait éradiquer tout symbole religieux et un retour massif de pratiques occultes et magiques. Dans le même temps, les cultures non-occidentales rappellent à l’Église que l’Évangile ne se vit jamais hors sol : il doit s’incarner dans des langages, des gestes, des symboles. Le défi est toujours le même qu’au temps d’Ézéchias : comment assumer sans idolâtrer, comment purifier sans détruire ?


Peut-être est-ce là l’un des grands appels de notre temps : retrouver une herméneutique de la confiance. Non pas la naïveté qui absorbe tout, mais la foi qui ose croire que l’Esprit travaille dans l’histoire, jusque dans les symboles les plus étrangers, et qu’il les conduit vers le Christ. Cette attitude, loin de nous enfermer, pourrait ouvrir un chemin nouveau pour le dialogue des cultures, pour l’inculturation de l’Évangile et pour une évangélisation qui ne soit pas conquête, mais transfiguration.


La bulle d’Ézéchias devient alors un signe prophétique : si Dieu a pu se servir d’un sceau marqué d’ankhs et d’un disque solaire pour porter le nom d’un roi fidèle, ne peut-il pas aussi, aujourd’hui, se servir des fractures de nos cultures pour y inscrire à nouveau son Nom ? La vraie question n’est plus seulement archéologique ou historique : elle est spirituelle et missionnaire.


Peut-être le croyant est-il appelé à devenir lui-même une « bulle » d’Ézéchias : marqué par mille influences, mais portant en son centre l’empreinte d’une fidélité qui oriente tout vers Dieu.



 
 
 

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