Homo Christi ou Homo Deus ? Transhumanisme, ésotérisme et la grande illusion du salut sans la Croix
- Cyprien.L
- 18 juin
- 10 min de lecture

Introduction – Quand la machine prolonge la magie
Ils sont peu nombreux à le voir, mais la promesse d’immortalité ne s’est jamais tue.Elle a simplement changé de costume.
Autrefois, elle portait la robe du mage, traçait des cercles au sol et murmurait des noms cachés. Aujourd’hui, elle s’écrit en lignes de code, s’implante sous la peau et s’affiche en brevet.
Mais le rêve est le même : échapper à la mort sans passer par la Croix.
Dans le livre God’s Debris, Scott Adams imagine un Dieu qui se serait volontairement pulvérisé — pour faire l’expérience de Lui-même dans la diversité du monde. Cette vision panthéiste ou panenthéiste, séduisante dans son élégance abstraite, retrouve curieusement un écho chez les transhumanistes contemporains. Ceux-ci promettent la vie éternelle par la technologie, le téléversement de l’esprit, la fusion homme-machine. Une gnose 2.0, sans rite, mais avec silicone.
Et pourtant, cette idée n’est pas neuve.
Pierre Manoury, mage du XXe siècle, parlait déjà d’un « double énergétique » capable de survivre à la mort, de s’affranchir des dogmes, d’agir sur le réel par la seule volonté.Les mots changent.Les outils évoluent. Mais le cœur du projet demeure identique :
Un salut sans Dieu. Une vie sans conversion. Un pouvoir sans adoration.
Ce que l’ésotérisme appelait élan vibratoire, le transhumanisme le nomme conscience téléchargeable. Mais dans les deux cas, le Christ n’a pas sa place.
Or, selon la foi chrétienne, il n’y a pas d’immortalité véritable sans passage par la mort, ni de vie éternelle sans relation filiale au Père.
Ce blog vous propose donc une exploration à contre-courant :Une mise en lumière des liens entre magie et technique, gnose et post-humanisme, et surtout une redécouverte de l’Homo Christi :celui qui ne se fabrique pas, mais qui se reçoit, dans la faiblesse et la Résurrection.
I. La tentation ancienne d’un salut sans Dieu
Il n’est pas nouveau que l’homme veuille devenir Dieu.Ce qui change, c’est le langage avec lequel il le prétend.
Dans God’s Debris, Scott Adams imagine que Dieu, dans un élan d’absolue curiosité, aurait choisi de se pulvériser lui-même. Il serait devenu poussière, matière, énergie, entropie, fragments. L’univers tout entier ne serait que la dispersion d’un esprit originel, cherchant à se recomposer, à se redécouvrir, à vivre l’expérience de lui-même. Une idée séduisante, poétique, presque théologique. Mais fondamentalement étrangère à la foi chrétienne.
Ce récit de fragmentation originelle n’est pas nouveau :on le retrouve dans le Tsimtsoum de la Kabbale, dans le Lila hindou, dans les mythes de la chute des éons gnostiques.
Et c’est toujours la même intuition :
« Dieu est incomplet sans nous. »« L’homme est un fragment de Dieu. »« Le but est de retrouver l’unité. »
Mais l’Écriture ne dit pas cela.Elle ne dit pas que Dieu avait besoin de se découvrir.Elle ne dit pas que nous sommes des morceaux tombés d’un Tout brisé.
Elle dit que Dieu est plénitude. Et que l’homme n’est pas Dieu, mais à son image.
« Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre. […]Et Dieu dit : faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance. »(Genèse 1,1.26)
L’homme ne naît pas d’un éclat divin désincarné, mais d’un acte libre d’amour créateur.
Et surtout :il est autre que Dieu. Il n’est ni le prolongement d’un Dieu en quête d’expérience, ni une parcelle divine déguisée en chair.
Ce que Scott Adams décrit est en fait une théodicée implicite : si Dieu a voulu souffrir, alors le mal a un sens, et la Création devient une sorte de laboratoire existentiel.Mais cette idée mène à une impasse théologique : elle nie à la fois la perfection de Dieu, et la liberté réelle de l’homme.
Car si tout est Dieu, alors il n’y a plus ni péché, ni conversion, ni même grâce.
Tout est jeu. Tout est nécessaire. Et donc, rien n’est sauvé.
Quelqu’un objectera peut-être : « Mais Jésus aussi s’est incarné. N’est-ce pas une forme de descente divine dans la matière ? »
La réponse est oui… mais dans un sens radicalement inverse.
Car le Verbe ne s’est pas dispersé. Il s’est fait chair (Jean 1,14).Non pour se découvrir, mais pour nous relever.
Il ne s’est pas oublié dans les choses, il a pris une forme de serviteur (Philippiens 2,7).Il n’a pas fui sa divinité, il l’a voilée d’humanité par amour.
La gnose veut remonter à Dieu par ses propres forces. Le chrétien reconnaît qu’il ne peut rien sans le Christ (Jean 15,5). Et c’est dans cette dépendance, dans cet abaissement, que l’homme trouve sa vraie élévation.
II. Le mage moderne : Pierre Manoury et la construction du double
Si la gnose ancienne se dissimulait dans des mythes, la gnose contemporaine s’écrit en manuels techniques.
Pierre Manoury, dans ses ouvrages ésotériques, ne parle ni de métaphores, ni de mystique. Il parle d’efficacité. De méthode.D’expérimentation.
Le mage, selon lui, n’a pas besoin de croire. Il agit.
« Le double n’est pas un fantasme : c’est une structure énergétique reproductible,observable et susceptible d’interaction. »(L’Arbre aux Mille Racines, vol. 1)
Et encore :
« La technique du double est indépendante des dogmes.Elle est efficace ou non selon la volonté. »(ibid.)
Ce double, ou “corps énergétique secondaire”, est censé être nourri, construit, entraîné, projeté hors du corps.Jusqu’à devenir autonome, et capable de survivre à la mort du corps biologique.
« Le double peut atteindre un degré d’autonomie telqu’il survivra à la désintégration de la personnalité originelle. »(L’Arbre aux Mille Racines, vol. 2)
Ce que Manoury décrit, en langage occulte, n’est autre qu’une tentative de salut sans Dieu. Un salut par technique.Un salut par duplication de soi.
Il ne s’agit pas d’aimer, de se convertir, de se livrer…Il s’agit d’étendre son être. De le faire durer.D’en fabriquer un reflet indestructible.
Mais ce double, aussi vibrant qu’il soit, n’est pas une personne.
C’est une construction. Un artefact spirituel, fabriqué comme un logiciel subtil, alimenté par l’ego et la volonté.
Or dans la théologie chrétienne,il n’y a pas de vie éternelle sans relation.
« Ce n’est pas bon que l’homme soit seul. »(Genèse 2,18)
Et encore :
« La vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi,le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ. »(Jean 17,3)
Le double de Manoury est une projection de puissance.Mais le salut chrétien est un accueil de la faiblesse.
Le double se fabrique. Le chrétien naît d’en-haut (Jean 3,3).Il ne se prolonge pas. Il est engendré par grâce.
Et pourtant, malgré leur apparente opposition, le mage et l’ingénieur partagent un même rêve :un être humain qui n’a plus besoin de Dieu. Ni pour vivre. Ni pour mourir. Ni pour aimer.
Dans le chapitre suivant, nous verrons comment ce rêve a pris forme dans les laboratoires du XXIe siècle, sous le nom de transhumanisme.
III. Le transhumanisme : continuité technologique de l’occultisme
On croit souvent que l’époque moderne a rompu avec les illusions anciennes. Que les sorts ont cédé la place aux algorithmes. Que la technologie a remplacé les incantations.
Mais si l’on regarde bien, le rêve est resté le même.
Là où le mage voulait projeter un double, le transhumaniste veut téléverser l’esprit.Là où l’occultiste traçait des cercles pour retenir l’âme, le chercheur trace des circuits pour encoder la conscience.
Ray Kurzweil, ingénieur chez Google, affirme :
« I believe we will be able to upload our minds to the cloud by 2045.We will essentially be immortal, while continuing to evolve. »(The Guardian, 2014)
Martine Rothblatt, fondatrice de United Therapeutics, ajoute :
« Mindclones are mental replicas of ourselves.They will survive us, represent us, think with our voices…It is a form of immortality. »(Virtually Human, 2014)
Et Yuval Noah Harari, prophète laïque de la Silicon Valley, déclare sans détour :
« We are now acquiring divine powers,not in a poetic metaphorical sense,but literally.We are becoming capable of creating and destroying life. »(Homo Deus, 2016)
C’est la même prétention à l’élévation, le même refus de la dépendance, la même promesse d’éternité…sans grâce.
À la magie des symboles s’est substituée la magie du code. Mais ce sont encore des symboles opératifs, des artefacts produits par l’homme pour repousser le scandale de la mort.
Le Catéchisme de l’Église catholique le dit clairement :
« Toutes les pratiques de magie ou de sorcellerie [...] sont gravement contraires à la vertu de religion. »(CEC §2117)
Et encore :
« Il n’est pas possible de dissocier les moyens techniques de leurs implications morales. »(CEC §2294)
Le transhumanisme ne prolonge pas la médecine, il la remplace. Il ne soigne pas pour guérir, il modifie pour dominer. Il ne respecte pas la finitude, il veut l’annuler.
Là où le Christ a dit :
« Qui perd sa vie à cause de moi la sauvera » (Luc 9,24),le transhumanisme répond :« Ne la perds pas. Prolonge-la. Redéfini-la. Augmente-la. »
Mais cette vie ainsi prolongée n’est plus une vie reçue, c’est une existence construite. Un ego encapsulé. Une identité sans altérité.
IV. L’illusion d’une neutralité des moyens
Ce que les mages disaient en secret, les ingénieurs le proclament aujourd’hui à la une des conférences TED.
Et tous affirment la même chose :
« Le moyen est neutre. Seule compte l’intention. »
Pierre Manoury le disait déjà :
« La technique du double est indépendante des dogmes.Elle est efficace ou non selon la volonté. »(L’Arbre aux Mille Racines, vol. 1)
Le transhumanisme tient un discours semblable.Créer des clones, améliorer le cerveau, numériser la mémoire ?Ce ne sont que outils.
Ce qui importe, dit-on, c’est ce qu’on en fait.
Mais cette prétention à la neutralité est une faute d’anthropologie. Car l’homme n’est pas un esprit désincarné qui manipule des leviers. Il est chair et relation, et ce qu’il fait du monde le transforme lui-même.
Le Catéchisme est sans ambiguïté :
« Il n’est pas possible de dissocier les moyens techniquesde leurs implications morales.Leur usage ne peut être moralement neutre. »(CEC §2294)
Ce n’est pas l’outil qui est neutre, mais la conscience qui se croit hors de portée.
Et cette conscience oublie que même les technologies— aussi "objectives" soient-elles —sont orientées par une vision du monde.
Ainsi, en prétendant “augmenter” l’homme, on le redéfinit.
En voulant lui éviter la mort, on lui ôte sa fécondité spirituelle.
En refusant toute dépendance, on le coupe de toute filiation.
Et c’est ici que la rupture avec la foi chrétienne est totale. Car le chrétien ne se fabrique pas. Il se reçoit.
Il ne s’augmente pas. Il s’abaisse pour être élevé par un autre.
« Dieu résiste aux orgueilleux,mais il donne sa grâce aux humbles. »(Jacques 4,6)
L’illusion du moyen neutre est une ruse du tentateur, qui commence toujours par :
« Tu peux, si tu veux. »
Mais vouloir sans sagesse mène à l’absurde.Et manipuler sans adoration conduit au vertige.
Dans le chapitre suivant, nous verrons que la seule vraie alternative n’est ni la performance ni la fuite, mais une nouvelle naissance :celle de l’Homo Christi.
V. Homo Christi : la réponse du Christ à l’orgueil moderne
Face à l’homme augmenté, l’Évangile ne propose pas un homme diminué. Il propose un homme converti.
Non pas suréquipé, mais désarmé.
Le Christ ne vient pas multiplier nos capacités. Il vient nous sauver.
Il ne vient pas repousser les limites biologiques, mais transfigurer l’être tout entier, par l’amour donné jusqu’au sang.
Dans la logique du transhumanisme, l’homme se sauve par la technologie. Dans la logique évangélique, l’homme est sauvé par une relation, celle du Fils au Père, dans l’Esprit Saint.
Saint Paul le dit clairement :
« Ce n’est plus moi qui vis,c’est le Christ qui vit en moi. »(Galates 2,20)
Voilà le véritable Homo Novus : non pas un homme augmenté, mais un homme habité.
Il ne s’agit pas d’une version améliorée de l’ancien, mais d’un être entièrement nouveau, engendré non par le code ou la volonté, mais par la grâce.
L’homme moderne veut dominer la mort.Le Christ l’a embrassée.
Il n’a pas fui la croix. Il l’a portée.
Et c’est en cela qu’il nous précède, non comme un ingénieur céleste, mais comme l’Agneau immolé.
L’Homo Christi ne cherche pas à prolonger sa vie. Il cherche à la livrer.
Il ne veut pas transcender sa chair. Il veut qu’elle soit consacrée, offerte, eucharistiée.
C’est là le cœur de la vraie vie éternelle :non pas un infini numérique, mais une communion réelle, dans un corps ressuscité, transfiguré par l’amour.
Et si l’homme doit renaître, ce n’est pas dans le silicium, mais dans l’eau et l’Esprit.
« À moins de naître d’en haut,nul ne peut voir le Royaume de Dieu. »(Jean 3,3)
Ainsi, le vrai dépassement de l’humain n’est pas une fuite hors de l’humain, mais une entrée plus profonde dans le mystère du Christ.
Conclusion – « Vous serez comme des dieux »… ou comme des fils ?
Il y a dans le cœur de l’homme une angoisse que la science ne saura jamais apaiser. Une peur ancienne, plus forte que la maladie : celle de ne pas être Dieu.
C’est cette faille originelle que le serpent a exploitée au Jardin :
« Vous ne mourrez pas…mais vous serez comme des dieux. »(Genèse 3,4-5)
Depuis lors, la promesse ne change pas.Elle se décline sous mille formes.Hier par le rituel.Aujourd’hui par le code.Mais toujours sans la Croix.
Car la Croix, elle, ne promet pas la domination.Elle promet la transformation. Elle ne parle pas de puissance, mais de dépouillement.
La magie de Manoury veut créer un double.Le transhumanisme veut téléverser l’esprit.Mais tous deux s’enferment dans le même mensonge :celui d’un salut sans conversion, d’une vie éternelle sans relation,d’un corps glorifié sans don.
Le chrétien, lui, ne cherche pas à survivre.Il cherche à vivre en Christ, et à mourir dans l’espérance de la résurrection.
« Si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas,il reste seul ;mais s’il meurt,il porte beaucoup de fruit. » (Jean 12,24)
C’est là tout le paradoxe chrétien.Là où l’homme moderne dit : « Je veux durer »,le Christ dit : « Donne-toi. »
Nous sommes à l’heure du choix. Pas seulement politique ou bioéthique, mais ontologique.
Allons-nous devenir des machines immortelles sans âme, ou des fils du Père, ayant reçu un nom que nul ne connaît, sinon Celui qui nous l’a donné ?(cf. Apocalypse 2,17)
Le salut ne se code pas. Il ne se projette pas. Il se reçoit.
Dans l’humilité.Dans la filiation.Dans l’offrande.
Et si demain, l’homme venait à créer des copies de lui-même, des doubles parfaits, des avatars immortels, alors plus que jamais, il faudra rappeler cette vérité simple, scandaleuse pour les forts, mais douce aux petits :
« Sans moi, vous ne pouvez rien faire. »(Jean 15,5)
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