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Parmi toutes les religions, pourquoi celle-ci ?

  • Photo du rédacteur: Cyprien.L
    Cyprien.L
  • 30 avr.
  • 31 min de lecture

Dernière mise à jour : 1 mai

« En lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes ; et la lumière brille dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont pas saisie. »Jean 1,4-5


Pourquoi choisir le catholicisme plutôt qu’une autre religion ? Cet article propose une réflexion rigoureuse et accessible sur les grandes traditions spirituelles du monde, en montrant la singularité du christianisme et sa réponse cohérente à la quête humaine de salut.
Un Christ rayonnant, tendant la main à un homme en vêtements ordinaires, dans un carrefour entre plusieurs chemins flous.


Introduction


Là où l’homme est aimé pour lui-même : pourquoi je choisis le catholicisme


Cet article est né d’un échange personnel avec une femme en chemin vers le baptême — peut-être, si Dieu le veut, une future sœur dans la foi. À la question que je lui posais, « quelle est celle qui te semble la plus importante aujourd’hui ? », elle m’a répondu sans hésiter :

« Pourquoi cette religion ? Pourquoi la choisir, parmi toutes les autres ? »


Cette question est juste. Elle est légitime. Elle est brûlante. Et elle n’est pas seulement intellectuelle : elle touche à l’intime. Car si Dieu existe, alors Il mérite qu’on Le cherche avec sérieux. Et s’Il s’est révélé, alors Il mérite qu’on Le suive en vérité.Mais dans un monde où les offres spirituelles prolifèrent — entre traditions anciennes, courants mystiques, syncrétismes modernes, philosophies de vie, religions personnalisées — comment discerner ce qui relève d’un appel véritable de ce qui n’est qu’une projection humaine ?Comment répondre à cette question essentielle sans sombrer dans l’orgueil d’un jugement hâtif, ou dans l’indifférence paresseuse de ceux qui disent : « tout se vaut » ?


J’ai donc entrepris de répondre à cette question, non pas en prétendant examiner chacune des spiritualités une par une — tâche impossible dans le cadre d’un seul article — mais en m’attachant à ce que j’appellerai ici les grandes traditions. Autrement dit, les systèmes religieux ou philosophiques suffisamment structurés pour proposer une anthropologie, une cosmogonie, une morale, une voie de salut — des socles d’idées consistants, sur lesquels on peut fonder une vie.


En les étudiant attentivement, on peut dégager des schémas, des constantes, des logiques. Et dès lors, avec un peu de bonne volonté et un esprit de cohérence, on peut ensuite appliquer cette grille de lecture à de nombreuses autres propositions dites "alternatives", dérivées, ou apparentées : formes hybrides, néo-religions, sectes, new age, spiritualités personnalisées ou résurgences anciennes.


Il ne s’agit donc pas ici de tout dire sur tout, mais de tracer des repères, d’éclairer des différences de fond, et surtout de montrer ce que le catholicisme propose de radicalement unique, en particulier dans sa vision de l’homme :un être voulu, aimé, sauvé — non pas pour être absorbé, utilisé ou mis à l’épreuve,mais appelé à vivre éternellement dans la communion d’amour d’un Dieu qui s’est fait homme.


Enfin — et cela doit être dit dès maintenant — cet article est écrit par un catholique. Il ne prétend pas à une neutralité feinte. Il ne dissimule pas son espérance. Je n’écris pas en surplomb, mais depuis une foi aimée et reçue, que je m’efforce de comprendre toujours mieux.C’est pourquoi ce texte est une apologétique : non une confrontation, mais une défense aimante, rigoureuse et honnête de la foi catholique.


Si vous cherchez un regard absolument neutre, ce texte n’est peut-être pas pour vous. Mais si vous cherchez un regard clair, informé, et orienté par la cohérence intérieure d’un chemin de foi, alors peut-être trouverez-vous ici de quoi nourrir votre discernement.


Le vrai sens de “Dieu” selon la foi catholique


Or, dans la foi catholique, le mot "Dieu" désigne une réalité radicalement autre.

Dieu, tel que le catholicisme le professe, n'est pas un élément du monde, ni même l'âme du monde, ni une énergie diffuse, ni l'univers lui-même. Il est l’Être en plénitude, Celui qui existe par Lui-même et par qui tout existe, sans dépendance, sans mutation, sans division. Il est personnel, libre, transcendant, tout en étant infiniment proche de Sa création. Il est Créateur, non partie du créé. Il est l’Origine de tout, et non l'ensemble de tout.


C’est pourquoi nous devons comprendre que le mot "Dieu" est ici employé par convention, parce qu’il est le plus accessible à notre langage, mais il demeure inadéquat pour exprimer la réalité de Celui qu'il désigne. Il est choisi par pédagogie, pour nous permettre de parler de l’Être absolu révélé dans l’histoire sainte, mais il ne saurait être confondu avec ce que le mot "dieu" pouvait évoquer avant la Révélation biblique.


Le vrai Dieu, selon le catholicisme,


n’est pas un être parmi d’autres, même immense ;


n’est pas la totalité du monde ;


n’est pas une fusion impersonnelle de l’être ;


n’est pas un principe abstrait sans visage ni volonté.



Il est : Celui qui parle, Celui qui aime, Celui qui crée librement par amour, Celui qui s’est révélé en appelant Abraham, en libérant Israël, et en venant Lui-même dans l’histoire des hommes en Jésus-Christ.


Il est ce que saint Thomas d’Aquin appelle l’Acte pur, la pure subsistance de l’être même, sans aucune limite, sans composition, sans changement, parfait en vérité, parfait en bonté, parfait en amour.


Ainsi, tout au long de cet article, lorsque nous dirons "Dieu", nous parlerons exclusivement de ce Dieu vivant, unique et personnel, que révèle la foi catholique.

Il est fondamental de garder cette distinction, car sans elle, toute comparaison avec d’autres traditions deviendrait confuse, voire injuste.


Axe 1 – Le catholicisme face aux religions du paganismes antiques


Lorsque l'on compare le catholicisme aux traditions polythéistes antiques, il est crucial de garder en mémoire la distinction fondamentale que nous avons exposée : ce que nous appelons "Dieu" dans la foi catholique n’a absolument rien à voir avec ce que les anciens peuples entendaient par "dieux". Là où nous parlons de l’Être absolu, ils parlaient de forces supérieures, d’entités puissantes mais limitées, soumises aux passions, nées dans le monde plutôt que créatrices du monde.


Dans les paganismes gréco-romains, égyptiens, scandinaves, ou mésopotamiens, les "dieux" sont multiples. Ils rivalisent entre eux. Ils aiment, trahissent, se vengent. Ils représentent des puissances naturelles ou des archétypes psychologiques plus qu'ils ne constituent une transcendance absolue. L’univers est une scène où se déploient des volontés divines parfois contradictoires, parfois absurdes. Le destin, ou "moïra" chez les Grecs, plane même au-dessus des dieux : eux aussi sont liés par des nécessités qu'ils ne peuvent briser.


Dans cet univers religieux éclaté, l'homme apparaît comme un être de second ordre. Il est soumis aux humeurs des divinités. Tantôt instrument, tantôt victime, il n’est pas invité à un dialogue d’amour avec le divin. Sa vie est marquée par la nécessité de rites et de sacrifices destinés à apaiser les puissances célestes ou à attirer leurs faveurs éphémères. Il n’existe aucun horizon de salut cohérent, aucun dessein universel de réconciliation, aucune vocation personnelle qui le destinerait à partager la vie divine.


Ce que l'on appelle "culte" dans ces religions est souvent une négociation permanente : donner pour recevoir, apaiser pour ne pas être détruit. Le divin n'est pas gratuité d'amour : il est exigence, souvent capricieuse. Le monde n'est pas une création sortie de l'amour, mais un espace chaotique habité de puissances conflictuelles.


La pluralité même des dieux engendre une incohérence interne inévitable : s'il existe plusieurs êtres suprêmes, alors aucun n'est absolu. Aucun ne peut garantir la vérité universelle. Aucun n'offre à l’homme une voie sûre vers l’éternité. L’homme, dans ces systèmes, est fondamentalement exposé, incertain de son sort, condamné à naviguer entre des forces qu'il ne maîtrise pas.


Face à cette vision du monde, le catholicisme est une révolution. Non seulement il proclame qu’il n’existe qu’un seul Dieu véritable, mais il affirme que ce Dieu est absolument unique, absolu, libre et aimant. Il n'est pas un élément du cosmos : Il est l’Être même, Celui dont tout dépend, mais qui ne dépend de rien. Celui dont la nature est amour, vérité, justice, et non besoin, jalousie ou caprice.


Le catholicisme enseigne que Dieu a créé le monde librement, non par nécessité ou par rivalité, mais par amour, par pure surabondance de bonté. Et cet amour s'adresse à l'homme d'une manière personnelle et intime : chaque être humain est voulu pour lui-même, créé à l'image de Dieu (Genèse 1,27), destiné à vivre dans une communion éternelle avec Lui.


Ici, la condition humaine est transformée de fond en comble :


  • L’homme n’est plus un pion des puissances supérieures : il est un fils appelé à l’héritage divin.

  • L’histoire n’est plus une arène chaotique : elle devient une histoire de salut, guidée par une Providence patiente et fidèle.

  • Le divin n’est plus lointain et imprévisible : il est le Père qui se révèle et qui sauve.


Plus encore, dans la plénitude des temps, Dieu Lui-même vient à la rencontre de l'homme en Jésus-Christ. Il n'envoie pas simplement des signes ou des prophètes : Il se fait l’un de nous, sans cesser d'être pleinement Dieu. Cette incarnation n’a pas de parallèle dans les religions antiques. Le mythe de dieux descendant parmi les hommes dans les paganismes n’est jamais une véritable kénose d’amour : ce sont des aventures, des mascarades divines, jamais un abaissement volontaire pour sauver l'humanité.

Par Jésus, Dieu ne fait pas semblant d’être homme : Il assume réellement notre nature pour nous élever jusqu’à Lui. Ce n'est plus l’homme qui doit offrir des sacrifices pour apaiser un dieu incertain : c’est Dieu qui Se donne Lui-même en sacrifice, une fois pour toutes, pour sauver l’homme et lui ouvrir les portes de la vie éternelle.


Face aux paganismes antiques, le catholicisme ne vient pas seulement corriger quelques excès :Il révèle ce qui, dans le cœur même des païens, était espéré sans pouvoir être atteint : la possibilité d’un lien d’amour avec le divin, d’une alliance éternelle fondée non sur la crainte ou la soumission, mais sur la fidélité et la charité.


Ce que les mythologies pressentaient confusément, le Christ l'accomplit pleinement :


  • Non un dieu parmi d’autres, mais l’Unique qui est au-dessus de tout.

  • Non un jeu capricieux de puissances, mais une histoire d’amour et de salut.

  • Non une soumission au destin, mais l’appel libre à la communion éternelle.


Face à l'éclatement, l'unité.Face à la peur, l'amour.Face au chaos divinisé, le dessein providentiel du Père.

C'est pourquoi, dès les premiers siècles, ceux qui découvrirent l'Évangile virent immédiatement que ce n'était pas une philosophie de plus, ni un mythe parmi d'autres, mais la Vérité faite chair — l’accomplissement de ce que toute âme humaine attendait en silence depuis les origines.


Axe 2 – Le catholicisme face à l’hindouisme


Après les paganismes antiques et leurs dieux multiples, un autre grand système religieux nous conduit à réfléchir sur la destinée humaine : l’hindouisme. Il est juste ici de rappeler que nous parlons de l’hindouisme classique — en particulier de ses fondations métaphysiques majeures (upanishadiques et védiques) — et non de toutes les variations populaires ou régionales qui en découlent.


L’hindouisme, dans ses structures les plus profondes, repose sur une intuition saisissante : derrière la diversité apparente du monde, il existe un principe unique, l'Absolu, que l'on nomme Brahman. Ce Brahman est sans forme, sans désir, sans individualité. Il est la réalité ultime, pure conscience sans division, sans détermination.


Dans cette perspective, l’homme, en son essence, est atman, et atman n’est autre que Brahman. L'individualité, ce que nous appelons "je", n'est qu'une illusion, une superposition créée par l'ignorance (avidya). Le salut, ou moksha, ne consiste donc pas à sauver l'individu en tant que tel, mais à dissoudre toute conscience d'individualité dans la conscience absolue, à réaliser que "je" n'existe pas réellement comme entité distincte.


Une autre notion essentielle de l’hindouisme vient éclairer cette vision : le concept de Lila. Lila signifie "jeu divin" : l'univers n'est pas créé par nécessité ni par amour pour les créatures ; il est une manifestation spontanée, sans but ultime, comme un jeu gratuit de Brahman. Ce monde, cette diversité, ces consciences séparées ne sont pas voulues pour elles-mêmes : elles sont des effets secondaires, des figures dans le grand théâtre de l’Un.

Autrement dit, dans la perspective hindoue, l’homme n’est pas voulu en tant que tel. Il est un personnage temporaire dans le jeu cosmique, sans finalité propre, sans vocation personnelle ultime. Il est appelé, en dernière analyse, à reconnaître l’illusion de son existence distincte et à s’effacer dans l'Un.


C’est un système d’une grande élévation intellectuelle, mais dont la logique propre conduit inévitablement à la négation de la personne. Le "moi" n’est pas appelé à être glorifié : il est appelé à disparaître. L'amour personnel, la relation entre "je" et "tu", n’est pas ultime : au terme de la libération, il n'y a plus ni sujet, ni objet, ni relation. Il n'y a que l'Un, sans visage.

Cette vision offre une échappatoire à la souffrance du monde, à la mort, à l'angoisse de la séparation. Mais elle efface l'individu au moment même où elle prétend le sauver. Elle promet la paix, mais au prix de l'extinction de ce que nous sommes.


Or le catholicisme, ici encore, offre une réponse radicalement différente.Le catholicisme ne nie pas l’existence d’un principe unique et absolu : Dieu est Un. Mais ce Dieu est un Dieu vivant, personnel, libre, aimant, non un absolu impersonnel. Il ne s'agit pas d'une conscience diffuse dans laquelle l'homme serait absorbé, mais d'un Dieu en trois Personnes, dont chacune existe pleinement dans la relation et l'amour.

La foi catholique proclame que l’homme est voulu pour lui-même, avec son identité, son nom, son histoire. « Avant que je t’eusse formé dans le ventre de ta mère, je te connaissais » (Jr 1,5). Le but de l’existence humaine n’est pas de se dissoudre dans un Tout impersonnel, mais d’entrer dans une communion vivante avec Dieu, en restant pleinement soi-même, transfiguré, glorifié, mais non anéanti.


« Celui qui vaincra, je lui donnerai un nom nouveau » (Ap 2,17) : l’individualité n'est pas effacée dans le salut, elle est portée à son accomplissement plénier.Dieu ne veut pas abolir ce que nous sommes : Il veut l’élever, l’illuminer, le sanctifier.

Dans le catholicisme, la Béatitude éternelle n'est pas la dissolution du "je" dans l'océan du divin : elle est la vie en Dieu, dans une relation éternelle, où chaque être humain participe pleinement à l'amour infini sans cesser d'être lui-même.

Plus encore, en Jésus-Christ, Dieu ne nous appelle pas seulement à l'union, mais à l’adoption : nous sommes appelés à devenir fils dans le Fils, non par absorption, mais par grâce, demeurant nous-mêmes et devenant par Lui capables de participer à Sa nature divine (cf. 2 P 1,4).


Le grand génie du catholicisme est d'avoir compris que l’unité ultime de l’être ne détruit pas l’altérité, mais la magnifie. Dieu est Un, et Il est relation : Père, Fils et Esprit-Saint.Ainsi, l’unité n’efface pas l’amour, elle le rend possible en plénitude. L’unité divine n'est pas solitude, mais communion.


Par contraste, dans la vision hindoue classique, l'amour, le dialogue, la vocation personnelle apparaissent comme des étapes transitoires, des illusions sur la voie de la libération. Le catholicisme, au contraire, voit dans l'amour — réel, personnel, éternel — le sommet même de l'existence.


Et si le catholicisme assume l’intuition hindoue d'une Réalité ultime, il la dépasse infiniment :


  • En révélant que l'Absolu n’est pas seulement conscience, mais Amour vivant.

  • En révélant que le but de l’homme n’est pas de se dissoudre, mais d’entrer dans la lumière trinitaire, en demeurant pleinement lui-même, transfiguré par la grâce.


Face au Lila hindou, où le monde est jeu sans finalité personnelle, le catholicisme annonce la volonté libre de Dieu qui veut chacun de nous, de toute éternité, pour nous combler de Sa propre vie.


Face à la dissolution du moi, le catholicisme proclame la glorification du moi dans l'Amour. Face à l'extinction de la relation, il propose son couronnement dans la communion.


C’est cette révélation, éminemment personnelle, éminemment libre, que propose le catholicisme — et qui répond, au-delà des intuitions mystiques, à l’attente la plus profonde du cœur humain.


Axe 3 – Le catholicisme face au bouddhisme


Après les paganismes antiques et l’hindouisme, nous devons maintenant nous arrêter sur une autre grande tradition spirituelle : le bouddhisme. Il est essentiel d’y entrer avec précision et respect : non pour caricaturer, mais pour discerner avec clarté ce que propose le catholicisme en regard de cette conception radicalement différente de l’homme et du salut.

Le bouddhisme, dans son essence — en particulier tel qu'il est exposé dans les Quatre Nobles Vérités et dans le chemin du Noble Octuple Sentier — ne propose pas une relation avec un Dieu créateur. Le bouddhisme est, en effet, une doctrine sans théisme : il ne nie pas l’existence de puissances spirituelles, mais il ne reconnaît aucun Dieu absolu, ni comme créateur, ni comme sauveur.


La question première du bouddhisme n'est pas celle de l'origine du monde, ni celle d’une rencontre avec un Être personnel, mais celle de la souffrance (dukkha) et de son extinction. À la racine de la souffrance, enseigne le Bouddha, se trouve le désir ; et à la racine du désir, l'illusion du moi.


Le cœur du bouddhisme est là : l’anâtman, la doctrine du non-soi.Contrairement à l'hindouisme classique, qui considère que l'atman est Brahman, le bouddhisme affirme qu’il n’y a pas d’atman du tout. Le "je", la conscience individuelle, l’ego, ne sont que des agrégats provisoires (skandhas) d’éléments physiques et mentaux. Ils n’ont pas d’existence substantielle. Ils apparaissent, se combinent, se décomposent — tout comme des tourbillons se forment puis disparaissent dans un fleuve.


Le salut bouddhique, le Nirvana, n'est pas une survie éternelle du moi : il est l’extinction du moi, l’extinction du désir, l’extinction de toute soif d'existence. L'ultime délivrance n’est pas un accomplissement personnel, mais la cessation même de la personne en tant que fiction transitoire.


Les bouddhistes nuancent cependant cette idée, et il serait injuste de dire qu’ils confondent le Nirvana avec le néant. Les écoles bouddhistes, surtout les courants mahayana et vajrayana, insistent souvent pour dire que le Nirvana n’est pas "rien", mais une forme d’état non conditionné, transcendant le dualisme entre l’être et le non-être. Il est décrit comme une paix parfaite, une cessation du cycle de la souffrance sans être annihilation absolue.


Cependant, même ici, surgit une tension profonde dans la cosmogonie bouddhiste elle-même : si tout est vacuité (śūnyatā), si rien n’a d’existence propre ni de permanence, comment peut-on concevoir un état de repos stable, hors du changement, de l’impermanence et de l'interdépendance ?


Pour l'observateur extérieur — et même pour nombre de penseurs bouddhistes — cette affirmation d’un état de salut stable semble contredire le principe même de la vacuité universelle. Si toute chose est impermanente, si aucune réalité stable n’existe en soi, comment un Nirvana permanent et paisible pourrait-il subsister ?


Et ce paradoxe devient encore plus profond lorsque l'on observe l'évolution du bouddhisme :


  • Le Bouddha historique, dans le Canon pali, restait volontairement silencieux sur la nature ultime du Nirvana. Il disait :

« Il y a, moines, un non-né, un non-devenu, un non-créé, un non-formé. » (Udana, 8.3)

Mais jamais il ne définissait ce "non-né" comme une expérience personnelle positive : il refusait de répondre aux questions sur l'existence ou non du Tathagata après la mort.

  • À l’inverse, dans le Vajrayana, influencé par des siècles d’élaboration ésotérique, le Nirvana est parfois décrit en des termes extrêmement positifs, jusqu’à devenir pratiquement une béatitude extatique :

« La nature du Bouddha est la pure lumière claire, spontanée, sans naissance ni fin, radieuse comme un joyau dans l’espace. » (Guhyasamāja Tantra)

On voit ici un glissement : d’un Nirvana indicible, silencieux, lointain, on passe à une glorification mystique presque personnaliste de l’état de bouddhéité.

Mais ce glissement trahit la cohérence même du bouddhisme primitif. Car plus on affirme positivement le Nirvana, plus on contredit la vacuité radicale ; et plus on veut préserver la vacuité radicale, plus il devient impossible de justifier l'existence stable d’un salut.


À cela s'ajoute un autre paradoxe terrible : comment, même si un Nirvana existait, pourrait-on jamais l’atteindre ? Deux cas se présentent :


  • Si le Nirvana est totalement séparé du Samsara (comme dans l’ancienne école Theravāda), alors comment un être plongé dans l’impermanence, le changement, l’illusion du Samsara pourrait-il jamais atteindre ce qui lui est ontologiquement étranger ? Rien, dans un être conditionné, ne pourrait rejoindre l'Inconditionné.

  • Si le Nirvana est entremêlé au Samsara (comme dans certaines écoles vajrayanas), alors pourquoi le Samsara continue-t-il ? Pourquoi l’ignorance n’est-elle pas spontanément dissoute ? Si la réalité ultime est déjà Nirvana, pourquoi l’effort, pourquoi la souffrance, pourquoi l’illusion ?


Dans les deux cas, l'accès au Nirvana semble impossible ou absurde, selon les propres présupposés du bouddhisme.


Le catholicisme reconnaît la souffrance du monde, et il ne nie pas que l'attachement désordonné puisse être source de misère. Mais il affirme que la personne humaine n’est pas une illusion. Elle est réelle, voulue, précieuse aux yeux de Dieu.


Chaque homme est créé à l’image de Dieu (Gn 1,27), non comme une erreur à corriger, mais comme une réalité destinée à être transfigurée.L'individualité humaine n’est pas l'ennemie du salut : elle en est la condition même, car c’est l’homme réel que Dieu vient chercher, sauver, glorifier.


Cependant, même ici, surgit une tension profonde dans la cosmogonie bouddhiste elle-même : si tout est vacuité (śūnyatā), si rien n’a d’existence propre ni de permanence, comment peut-on concevoir un état de repos stable, hors du changement, de l’impermanence et de l'interdépendance ?


Pour l'observateur extérieur — et même pour nombre de penseurs bouddhistes — cette affirmation d’un état de salut stable semble contredire le principe même de la vacuité universelle. Si toute chose est impermanente, si aucune réalité stable n’existe en soi, comment un Nirvana permanent et paisible pourrait-il subsister ?


Et ce paradoxe devient encore plus profond lorsque l'on observe l'évolution du bouddhisme :


  • Le Bouddha historique, dans le Canon pali, restait volontairement silencieux sur la nature ultime du Nirvana. Il disait :

« Il y a, moines, un non-né, un non-devenu, un non-créé, un non-formé. » (Udana, 8.3)

Mais jamais il ne définissait ce "non-né" comme une expérience personnelle positive : il refusait de répondre aux questions sur l'existence ou non du Tathagata après la mort.


  • À l’inverse, dans le Vajrayana, influencé par des siècles d’élaboration ésotérique, le Nirvana est parfois décrit en des termes extrêmement positifs, jusqu’à devenir pratiquement une béatitude extatique :

« La nature du Bouddha est la pure lumière claire, spontanée, sans naissance ni fin, radieuse comme un joyau dans l’espace. » (Guhyasamāja Tantra)

On voit ici un glissement : d’un Nirvana indicible, silencieux, lointain, on passe à une glorification mystique presque personnaliste de l’état de bouddhéité.

Mais ce glissement trahit la cohérence même du bouddhisme primitif. Car plus on affirme positivement le Nirvana, plus on contredit la vacuité radicale ; et plus on veut préserver la vacuité radicale, plus il devient impossible de justifier l'existence stable d’un salut.

À cela s'ajoute un autre paradoxe terrible : comment, même si un Nirvana existait, pourrait-on jamais l’atteindre ? Deux cas se présentent :


  • Si le Nirvana est totalement séparé du Samsara (comme dans l’ancienne école Theravāda), alors comment un être plongé dans l’impermanence, le changement, l’illusion du Samsara pourrait-il jamais atteindre ce qui lui est ontologiquement étranger ? Rien, dans un être conditionné, ne pourrait rejoindre l'Inconditionné.

  • Si le Nirvana est entremêlé au Samsara (comme dans certaines écoles vajrayanas), alors pourquoi le Samsara continue-t-il ? Pourquoi l’ignorance n’est-elle pas spontanément dissoute ? Si la réalité ultime est déjà Nirvana, pourquoi l’effort, pourquoi la souffrance, pourquoi l’illusion ?


Dans les deux cas, l'accès au Nirvana semble impossible ou absurde, selon les propres présupposés du bouddhisme.


Et surtout, il est fondamental de comprendre que dans toute la tradition bouddhiste, il n'existe pas de Dieu théiste, encore moins de Dieu tout-puissant, encore moins d'être souverain capable d’intervenir pour sauver.


  • Le bouddhisme enseigne que le monde est issu d'un enchaînement de causes et de conditions (pratītyasamutpāda), sans commencement absolu, sans finalité transcendante.

  • Il n’y a pas de Créateur, pas d'Intelligence ordonnatrice ultime.

  • Le monde, même dans ses formes les plus heureuses (plan d'existence des devas), reste un hasard conditionné, régi par l'impermanence et la vacuité.


Dès lors, sur quelle base rationnelle peut-on justifier qu'un salut soit non seulement possible, mais assuré d'une stabilité définitive ? Pourquoi devrait-il exister, dans un monde sans fondement personnel, un point d'aboutissement positif ? Sans un Dieu souverain, sans une volonté créatrice transcendante, le Nirvana apparaît comme une pétition de principe, non comme une conséquence cohérente de la métaphysique bouddhiste.


À cette incohérence conceptuelle s'ajoute une conséquence lourde : face à ces paradoxes insolubles, les traditions bouddhistes — et, dans une certaine mesure, les traditions hindoues non-dualistes — en viennent à inviter l'adepte à se "libérer du mental ordinaire", à "dépasser l'intellect", à "cesser tout raisonnement discursif".Il ne faudrait plus interroger, confronter, articuler rationnellement : il faudrait abandonner la logique même, pour atteindre une expérience pure, au-delà des concepts.


Ce refus de la raison discursive n'est pas neutre. En philosophie, il porte un nom : l'irrationalisme.C’est la conviction que la raison humaine est incapable d’accéder à la vérité ultime, et qu’il faut donc la laisser derrière soi, voire la dissoudre dans une expérience immédiate, non médiatisée par la pensée.


Or ce choix est hautement problématique. Car si l’on renonce à la raison — même blessée, même limitée — pour atteindre la vérité, alors il devient impossible de distinguer entre illumination réelle et illusion subjective.Tout devient également invérifiable, également indémontrable, également indiscutable.Dès lors, il n’y a plus de chemin sûr : seulement des expériences individuelles, incommunicables, et donc inaptes à fonder une voie commune vers le salut.


À l’inverse, le catholicisme n’abolit jamais la raison. Il reconnaît ses limites — surtout après le péché — mais il enseigne que la grâce ne détruit pas la nature : elle l’accomplit. La foi chrétienne est "rationable" (rationnelle dans son fondement), même si elle dépasse la seule raison humaine ; elle ne demande jamais d’abolir l’intelligence, mais de la purifier, de l’élever, de la sanctifier.


Ainsi, face au paradoxe bouddhique de la dissolution du raisonnement,l e catholicisme proclame l’unité de l’homme tout entier :corps, cœur et intelligence, appelés ensemble à entrer dans la lumière du vrai.


On postule qu'il y aurait un salut, sans que la structure du réel, telle que décrite par le bouddhisme, puisse en fournir la cause ou la garantie. On affirme une libération ultime, sans pouvoir expliquer pourquoi l'existence, issue du jeu des causes et conditions contingentes, offrirait autre chose qu'un enchaînement infini de changements sans stabilité ni salut possible.


Dans cette perspective, le Nirvana devient une affirmation gratuite, un souhait inséré dans un système qui, par ailleurs, nie toute permanence et toute transcendance.


Ainsi, au problème déjà grave de la stabilité du Nirvana dans un monde de vacuité, s’ajoute un problème plus profond encore : l’absence d’une véritable explication de son existence même.


Le catholicisme enseigne que le désir profond de vivre, loin d’être une erreur, est inscrit dans l'âme par Dieu Lui-même. Ce désir est blessé par le péché, mais il est ordonné, purifié et élevé par la grâce, pour aboutir non à l’extinction de l’être, mais à sa plénitude dans l’amour éternel.


Le chemin du Christ n’est pas l’extinction du désir d’être : C’est la transfiguration du désir, orienté non vers la possession de ce monde périssable, mais vers la possession vivante de Dieu Lui-même, dans une union personnelle, libre et éternelle.


« Celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra » (Jn 11,25). Non la disparition, mais la résurrection.Non l’extinction, mais l’accomplissement glorieux.


Le catholicisme proclame que l’homme est destiné non à s’éteindre comme une bougie, mais à brûler éternellement d’une lumière vivante dans la communion trinitaire, en demeurant pleinement lui-même, transfiguré dans l’amour.


Plus encore, cette destinée personnelle est confirmée et rendue possible par l’événement unique de l’Incarnation : Dieu Lui-même s’est fait homme, non pour nier l’humanité, mais pour l’assumer, la guérir et l’élever.


Dans l’économie chrétienne, la souffrance est traversée, non niée. La mort est vaincue, non effacée.Le "je" est sauvé, purifié, aimé — non détruit.

Ainsi, face à la voie bouddhique de l'extinction, le catholicisme propose la voie de la résurrection. Face au Nirvana qui éteint toute forme d’être, il propose la Vie éternelle, où l'amour personnel trouve son achèvement sans fin.


Et si le bouddhisme a perçu avec justesse le caractère douloureux de l’existence conditionnée, il s'arrête au seuil du mystère véritable : celui d’un amour plus fort que la mort, d’un Dieu qui fait de la créature humaine non une erreur, mais un partenaire d’alliance, un fils adopté, un ami glorifié.


Non l’oubli de soi dans le néant, Mais la redécouverte de soi dans la lumière du Père.


Axe 4 – Le catholicisme face à l’islam


Après avoir comparé le catholicisme aux paganismes, à l’hindouisme et au bouddhisme, nous devons maintenant nous tourner vers une religion monothéiste : l’islam.Et ici encore, il ne s’agit pas de dresser une caricature, mais d’examiner les principes fondamentaux de l’islam pour comprendre en quoi la vision catholique de Dieu et de l’homme en diffère radicalement — non sur l’existence d’un Dieu unique, mais sur la nature de ce Dieu et sur ce qu’Il veut pour l’homme.


L’islam naît au VIIe siècle, dans un contexte sémitique déjà imprégné des récits bibliques. Il reprend un grand nombre de figures bibliques, dont Moïse, Abraham, Marie et Jésus, mais il les réinterprète profondément. Au cœur de l’islam se trouve une conviction absolue : Dieu est unique (tawhid), impénétrable, et sans égal. Il n’est pas engendré, et n’engendre pas. Il n’y a en Lui aucune division, aucune incarnation possible. Il est au-dessus de tout, et Sa volonté est souveraine.


L’homme, dans l’islam, est une créature de Dieu, soumise à Sa volonté. Le mot même "islam" signifie soumission. Il ne s’agit pas ici d’une soumission tyrannique, mais d’une obéissance pieuse et absolue à la loi divine révélée dans le Coran. L’homme est mis à l’épreuve : ses œuvres sont pesées ; ses actes sont évalués. Il obéit, ou il se perd.

Certes, l’islam reconnaît que Dieu est miséricordieux ("al-Rahman, al-Rahim"), mais cette miséricorde reste toujours un acte libre du tout-puissant, jamais une alliance intime ni une adoption personnelle. L’homme est, au mieux, un serviteur fidèle, mais jamais un fils. Il n’est pas appelé à participer à la vie même de Dieu, mais à habiter le paradis comme une récompense.


La vision du paradis elle-même est souvent décrite de manière matérielle : fleuves de lait et de miel, jardins, confort, satisfaction des désirs justes et purifiés.

L’islam nie formellement l’Incarnation : Dieu ne s’est pas fait homme. Il n’aurait pas pu le faire sans perdre Sa transcendance. Jésus (ʿĪsā) n’est qu’un prophète, non le Verbe de Dieu fait chair. La croix est niée ou interprétée comme une illusion.Dieu, dans l’islam, ne se donne pas : Il commande. Il guide, mais ne s’unit pas. Il récompense, mais ne se communique pas Lui-même.


Or cette conception de Dieu, si elle veut affirmer Sa souveraineté absolue, porte aussi en elle une fragilité structurelle. En effet, en mettant l’accent presque exclusivement sur Sa transcendance et sur Sa toute-puissance, la métaphysique islamique finit par éloigner Dieu à tel point qu’Il devient presque étranger à Sa propre création.


Quand bien même certains versets du Coran affirment que « Dieu est plus proche de l’homme que sa veine jugulaire » (Sourate 50, verset 16), cette affirmation est lourdement contredite dans la structure théologique de la plupart des courants orthodoxes. Car si Dieu reste absolument extérieur, séparé, indifférent dans Son essence, alors Sa proximité n’est qu’une proximité de savoir et de pouvoir, non une proximité d’être et d’amour.


Ce Dieu, dans l’islam, ne se lie pas ontologiquement à l’homme : il reste hors d’atteinte, sans vraie médiation intérieure.Cela soulève une question redoutable : si Dieu est en soi absolument transcendant et sans structure relationelle interne (Trinité), pourquoi aurait-Il créé d’autres êtres ? Quel sens aurait pour Lui de vouloir créer des créatures qu’Il gouverne de l’extérieur, sans entrer jamais en communion vivante avec elles ? Si l’on refuse toute idée d’Incarnation, toute notion de participation ontologique, il devient difficile d’échapper à deux images défectueuses :


  • Ou bien un Dieu changeant, qui aurait un jour décidé, par un caprice insondable, de créer ce qu’Il n’avait pas besoin de créer.

  • Ou bien un Dieu colérique, qui attendrait obéissance absolue sous peine de rejet, sans chemin de proximité intérieure véritable.


    Et à cela s’ajoute un indice troublant : dans la vision islamique, Dieu ne se contente pas de créer des créatures libres comme l’homme. Il crée aussi des êtres sans liberté, qui ne peuvent désobéir : les anges. Dans le Coran, ces créatures sont entièrement soumises, incapables de transgresser la moindre volonté divine. Elles n’aiment pas librement, ne cherchent pas, ne doutent pas, ne se convertissent pas. Elles sont des instruments parfaits d’exécution, créés non pour répondre, mais pour obéir.

    Or, cette création sans liberté, sans intériorité, dit quelque chose du regard de Dieu sur Sa propre création dans le cadre islamique. Cela suggère que la finalité divine ne serait pas la relation libre, mais l’efficacité, l’ordre, l'obéissance parfaite. Dieu n’est alors plus vu comme Celui qui veut des partenaires d’amour, mais comme Celui qui organise et déploie Son décret à travers des agents, certains dotés de liberté pour être testés (les hommes), d’autres vidés de liberté pour être parfaits (les anges).


    Cette conception est renforcée par une conséquence théologique majeure : dans la plupart des écoles traditionnelles de l’islam, notamment l’ashʿarisme dominant dans le sunnisme, le libre arbitre n'existe pas véritablement. Dieu y est perçu comme ayant tout décrété d’avance, y compris la foi ou l’incrédulité de chaque être humain.


    Le Coran affirme explicitement :

« Il égare qui Il veut et Il guide qui Il veut. » (Sourate 14, verset 4)« Il a scellé leurs cœurs et leurs oreilles, et un voile épais leur couvre les yeux. Ils auront un grand châtiment. » (Sourate 2, verset 7)

Et encore, à propos des incroyants :

« Ce n’est pas vous qui les avez tués, mais c’est Allah qui les a tués. » (Sourate 8, verset 17)

Ces versets sont pris au pied de la lettre par les grandes écoles classiques :l’imam Al-Ghazali écrit par exemple :

« Aucun acte du serviteur, bon ou mauvais, n’est en dehors de la volonté de Dieu. C’est Dieu qui crée dans l’homme ses actes et sa foi. »

Dans cette vision, Dieu n’est pas seulement omniscient : Il est le seul véritable agent de tous les événements, y compris de la foi ou de la damnation. Il crée la foi dans le cœur de celui qu’Il veut guider, et crée l’endurcissement dans le cœur de celui qu’Il veut égarer, sans que la liberté humaine ait une autonomie véritable.


Dès lors, l’homme n’est pas un être libre en chemin vers Dieu : il est un acteur dans une pièce déjà écrite, testé, mais sans pouvoir réel de changer son sort. Dieu n’est alors plus vu comme Celui qui veut des partenaires d’amour, mais comme Celui qui organise et déploie Son décret à travers des agents, certains dotés d'une liberté apparente pour être éprouvés (les hommes), d’autres totalement vidés de liberté pour être parfaits (les anges).


À rebours, le catholicisme proclame que Dieu, dans Sa toute-puissance, a voulu que l’homme soit libre, car l’amour ne peut exister sans liberté. Dieu ne prédestine pas à la damnation : Il appelle tous les hommes au salut (cf. 1 Tm 2,4), mais Il respecte jusqu’au bout leur réponse libre. Il veut des fils, non des automates. Des partenaires d’alliance, non des exécutants sans âme. Des cœurs libres, capables de dire « oui » comme Marie, ou « non » comme Hérode — et donc aussi capables d’être réellement responsables, aimés et appelés.


Ce n’est donc pas, comme on pourrait naïvement le croire, un "Dieu nordique" comme Odin, grand chef de guerre, mais plutôt une conception de Dieu comme planificateur absolu, maître des rouages, auteur d’un ordre total, où la liberté humaine n’est pas un don, mais une épreuve, et où le sommet du service divin est l'exécution exacte d’un ordre, non la communion filiale.


À cela s’ajoute une autre faiblesse structurelle : le rapport au langage sacré.

Dans l’islam classique, en particulier dans le sunnisme orthodoxe (ashʿarite notamment), le Coran est considéré comme incréé, dicté directement par Dieu dans des termes exacts. Le texte coranique est donc perçu comme intouchable, littéral, absolu.


Cela interdit toute véritable théologie analogique comme celle développée dans le christianisme. Dans la foi catholique, nous savons que lorsque nous disons que Dieu est "Père", "Roi", "Berger", ces mots sont des analogies : ils disent quelque chose de vrai mais aussi d’infiniment dépassé par ce qu’est Dieu en Lui-même. Chez la plupart des écoles classiques de l’islam, cette analogie est quasi impossible : les termes utilisés doivent être pris soit littéralement, soit mystérieusement sans questionner le "comment" (bila kayf), mais sans profondeur analogique véritable.


Le résultat est lourd :


  • D’un côté, Dieu est affirmé absolument autre, au point d’être presque inaccessible.

  • De l’autre, les descriptions de Dieu dans le Coran tombent malgré tout dans un anthropomorphisme difficile à éviter : Dieu qui parle, qui s’assied sur un trône, qui a des mains, qui se fâche, qui aime et déteste, sans que la subtilité d'une lecture analogique soit développée pour préserver Sa transcendance.


Par contraste, le catholicisme échappe à ce double écueil. Il proclame un Dieu infiniment transcendant, et pourtant infiniment proche, parce que c’est Lui qui s’est rapproché. Il proclame un Dieu totalement autre, et pourtant capable d’entrer en relation vivante, parce que c’est Lui qui a fait de l’homme Son fils par grâce. Il proclame que toute parole humaine sur Dieu est vraie et pourtant dépassée, analogie et non identité, préservant ainsi à la fois la vérité révélée et le mystère divin.


Axe 5 – La dérive gnostique moderne : entre dissolution et chaos


Avant d'entrer dans l'examen de cette dernière grande opposition, il faut d'abord préciser de quoi nous parlons.


Le gnosticisme désigne, au sens historique, un ensemble de courants religieux apparus aux premiers siècles de notre ère, qui partageaient tous l'idée que le monde matériel est mauvais ou illusoire, et que le salut vient non par une relation d'amour avec Dieu, mais par une "connaissance" (gnosis) secrète, réservée à quelques élus.Dans ces courants, l’homme n’est pas sauvé en tant que créature voulue et aimée, mais en tant qu'étincelle divine prisonnière du corps, appelée à s'évader du monde par l'initiation intérieure.


Le néognosticisme moderne — terme qui englobe les formes contemporaines du New Age, de certains ésotérismes, et des spiritualités "à la carte" — reproduit, sous des habits variés, la même matrice : rejet de l’histoire et du monde comme lieux du salut, dissolution de la personne dans un grand tout impersonnel, et exaltation d'une connaissance intérieure censée dépasser la foi simple et confiante.


Ce néognosticisme n'est pas une religion structurée, mais une nébuleuse mouvante, éclatée, souvent incohérente — ce qui rend son influence d’autant plus insidieuse.

Dans le panorama religieux contemporain, il est devenu impossible d’ignorer la prolifération de ces formes gnostiques et néo-gnostiques.Sous des visages multiples – ésotérismes divers, syncrétismes new age, lectures déformées du bouddhisme ou de l'Advaita Vedanta – s’est répandue une vision du monde qui, malgré ses atours spirituels, reproduit sans cesse le même schéma : nier la valeur de la création, dissoudre l'individu dans un grand tout impersonnel, et priver l’histoire humaine de sa finalité propre.


Les courants chaotiques du New Age n'échappent pas à cette logique. S'ils sont difficilement catégorisables en raison de leur éclatement interne, ils partagent cette même défiance envers l’incarnation et cette quête d’une connaissance élitiste censée transcender le réel. Ici, l’homme n’est pas un être voulu pour lui-même et appelé à communier personnellement avec Dieu dans la liberté et l’amour, mais une étincelle impersonnelle devant se fondre dans une abstraction informe, souvent confondue avec « l’univers », « l’énergie » ou « la source ». Loin de magnifier la dignité humaine, cette perspective finit par l’écraser dans un anonymat cosmique.


De même, certaines mutations internes aux grandes traditions classiques ont été lourdement marquées par cette dérive. Ainsi, dans certaines formes du bouddhisme ésotérique (notamment dans le Vajrayana tardif) ou dans l'Advaita Vedanta post-shankarien, on retrouve un déplacement vers une dissolution du "moi" si radicale qu’elle vide pratiquement toute consistance à l’individu. Il ne s’agit plus de sauver une personne, mais d’abolir toute notion personnelle au profit d'une fusion dans l'absolu impersonnel. Le catholicisme, au contraire, affirme que si l'homme est appelé à être divinisé, ce n’est jamais au prix de sa personne : Dieu ne nous absorbe pas ; Il nous unit à Lui dans une relation vivante d’amour, où notre moi est pleinement transfiguré, non anéanti.


Le problème majeur des doctrines gnostiques et néo-gnostiques est donc double : d’une part, elles échouent à donner une valeur réelle au monde créé (qui n’est plus qu’un voile d'illusion ou une prison), d’autre part, elles échouent à reconnaître la valeur unique de chaque être humain. Tout est fondu, dissous, nivelé dans un grand tout impersonnel. Or, cette fuite hors de l’histoire, cette négation du poids propre de l'existence, est incompatible avec l’anthropologie chrétienne qui proclame que l’histoire a un sens, que le corps a une dignité, et que l’homme, dans son unicité, est appelé à entrer librement dans la Vie divine, non à s'y diluer.


Loin de proposer un dépassement supérieur de la foi chrétienne, ces mouvements néo-gnostiques ou new-age sont l’une de ses plus funestes contrefaçons : une promesse de salut sans incarnation, sans Croix, sans résurrection. Une promesse séduisante, car elle flatte l’orgueil ou la peur de souffrir, mais une promesse vide, incapable de fonder une véritable espérance. Car au fond, si tout doit être aboli dans l’indifférencié, alors l'amour lui-même — qui suppose un je et un tu — n’a plus de sens.


À cela s’ajoute un autre aspect souvent ignoré mais crucial : dans ces systèmes, l’amour de l’autre est fréquemment relégué au second plan derrière la quête personnelle d’élévation.


Loin d’encourager le don sincère de soi, ces doctrines centrent l’individu sur sa propre

vibration, son propre éveil, son propre "chemin d'ascension", au détriment du souci réel des autres. L'autre n'est plus un frère à aimer, mais un obstacle à dépasser, un être de "basse fréquence" qu'il faut abandonner s'il ne suit pas.


Pire encore, ces courants multiplient des amalgames douteux entre spiritualité et science, en particulier en manipulant des concepts empruntés à la physique quantique de manière profondément déformée. Sous prétexte de "changer de vibration" ou d’"accéder à des plans supérieurs", ils encouragent des croyances toxiques, qui ont fait et font encore de nombreuses victimes :


  • Refus de soins médicaux traditionnels au nom de "l'énergie spirituelle".

  • Déni des réalités biologiques sous prétexte de "créer sa réalité par la pensée".

  • Plongée dans des attentes irréalistes, destructrices psychologiquement et parfois mortelles.


Cette dérive culmine dans des théories délirantes qui appellent à attendre un "saut vibratoire", une "ascension planétaire" où les "élus", suffisamment éveillés, seraient emportés dans une autre dimension parfaite — abandonnant ceux qui "vibreraient trop bas" à leur malheur terrestre.


Le salut n'est plus une communion d'amour offerte à tous, mais une sélection orgueilleuse, ésotérique, élitiste.Certains évoquent des "êtres de lumière", d'autres des "extraterrestres bienveillants", d'autres encore des "maîtres ascensionnés", mais toujours sur le même modèle : la fuite, la séparation, la rupture avec l'humanité commune.


Face à cela, le catholicisme proclame à rebours que nul ne peut être sauvé seul (cf. Catéchisme de l’Église catholique, § 953). Que l’amour du prochain n’est pas un supplément optionnel de la vie spirituelle, mais son cœur vivant. Que le salut véritable passe non par l’évasion, mais par le don, par l’accueil de l’autre comme frère, jusqu'à porter sa croix avec lui et pour lui.


Conclusion générale – Pourquoi je ne crois pas que tout se vaut — et pourquoi je choisis l’Église


En parcourant les grandes propositions spirituelles et religieuses de l’humanité, un constat s’impose :chacune d’entre elles a, à sa manière, perçu une soif de salut, une blessure au cœur de l’homme, une aspiration vers l’Absolu. Mais aucune - à mon avis en tout cas - sauf le catholicisme, n’a su apporter une réponse pleinement cohérente à l’énigme de l’être humain.


Face aux paganismes antiques, éclatés entre des dieux multiples, limités, souvent capricieux, le catholicisme proclame un Dieu unique, créateur par amour, appelant chaque être humain à une histoire de salut vivante et personnelle.


Face à l’hindouisme, où l’individu n'est qu’une illusion vouée à être dissoute dans un absolu impersonnel, le catholicisme affirme que chaque personne est voulue pour elle-même, appelée à être élevée dans une communion d’amour sans perdre son identité.


Face au bouddhisme, qui voit dans le "moi" une illusion à éteindre et dans la délivrance une extinction, le catholicisme annonce que la personne humaine est réelle, blessée certes, mais appelée à être transfigurée par la résurrection du Christ, et non anéantie.


Face à l’islam, qui confesse un Dieu tout-puissant mais dont la relation à l’homme reste celle du maître au serviteur, le catholicisme révèle un Dieu qui est non seulement Créateur et Souverain, mais Père, qui veut élever l’homme à la dignité de fils dans le Fils -


« Je ne vous appelle plus serviteurs, car le serviteur ne sait pas ce que fait son maître ; mais je vous ai appelés amis, parce que tout ce que j’ai entendu de mon Père, je vous l’ai fait connaître. »Jean 15,15

Face enfin aux multiples dérives néo-gnostiques contemporaines, qui dissolvent la personne dans des abstractions impersonnelles, qui nient l’histoire et la chair, et qui justifient l’indifférence au nom de fausses ascensions spirituelles, le catholicisme maintient avec force que l’amour du prochain est le cœur même du chemin vers Dieu, et que le salut n’est pas fuite du monde, mais transfiguration du monde par la grâce.


Le catholicisme ne se contente pas de proposer une vérité parmi d’autres : il propose la vérité de l’homme lui-même, en son origine, en sa vocation, et en son accomplissement ultime.


Il affirme que nous ne sommes pas les produits accidentels du chaos, mais des êtres voulus et aimés depuis toujours.


Il proclame que la souffrance n'est pas un piège absurde, mais un mystère traversé par un amour plus grand que la mort.


Il enseigne que l’histoire n’est pas un cycle sans fin ni une illusion à fuir, mais un chemin de rédemption, inscrit dans la chair et le temps, ouvert sur la vie éternelle.


Il révèle que Dieu ne domine pas de l’extérieur, mais qu’Il est entré Lui-même dans l'histoire humaine, qu'Il a souffert avec nous, pour nous, afin de nous conduire à Lui.


Choisir le catholicisme, ce n’est donc pas choisir un confort intellectuel ou une tradition parmi d’autres :c’est choisir d’adhérer à la plus grande espérance jamais offerte à l’homme. C’est reconnaître que notre soif d’être aimés, sauvés, glorifiés n’est pas un mirage, mais une réponse inscrite en nous par Celui qui nous a faits pour Lui.


Ce n’est pas l'abolition de l'homme, c’est son accomplissement. Ce n’est pas la fuite hors du monde, c’est la rédemption du monde. Ce n’est pas la dissolution dans l’indistinct, c’est l’entrée dans une relation d’amour éternel, où chacun est appelé par son nom, et connu pour l’éternité.


À l’homme qui cherche aujourd’hui, qui doute, qui vacille entre les propositions contradictoires, le catholicisme n’offre pas une idéologie, ni une gnose cachée, ni une évasion cosmique :il offre le visage d’un Dieu crucifié et ressuscité, qui nous tend la main et nous dit : « Viens, suis-moi » (Mt 19,21).


Et c’est parce que cette main est celle du Christ vivant, et non celle d’un mythe ou d’une abstraction, que nous pouvons y mettre toute notre espérance, toute notre foi, et toute notre vie.


Il faut préciser ici que cette défense du catholicisme n’est pas une idéalisation naïve de l'Église comme institution humaine. L’histoire, marquée de blessures et de péchés, atteste que les catholiques, comme tous les hommes, sont capables d’erreur et de trahison.Mais ce que nous avons voulu montrer, c’est que structurellement, par ses dogmes, par sa vision du réel, par sa compréhension de la nature humaine et divine, le catholicisme protège dans le temps des grandes dérives.Son enracinement dans la réalité créée, sa reconnaissance de l’union indissoluble de la foi et de la raison, et son exigence d’une vérité objective sauvegardent l’homme contre les illusions spirituelles, les abus du pouvoir religieux, et les dissolutions du sens.


Le dernier concile œcuménique, Vatican II, en est une illustration :il n’a pas été une négation de la foi, mais un rappel et une mise à jour fidèle des vérités fondamentales, justement parce que le socle du catholicisme est solide et vivant.


À l’inverse, dans les autres systèmes étudiés, les dérives observées ne sont pas seulement dues à la fragilité humaine, mais proviennent en partie de mécanismes internes, fonctionnels :


  • du rejet de la personne au profit du tout impersonnel,

  • du refus de la raison au profit d'une expérience non critiquable,

  • de la négation de la liberté au profit d’un déterminisme absolu,

  • de l’oubli de l’amour au profit d’un salut égoïste.


Ainsi, loin d’être une option parmi d’autres, le catholicisme apparaît, à la lumière de la raison et de la foi, comme la réponse la plus profonde, la plus cohérente, et la plus digne de la vocation humaine.





 
 
 

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