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Ni prêtre, ni exclue : Celles qui touchent le Christ

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    Cyprien.L
  • 5 août
  • 14 min de lecture
Marie-Theotokos
Marie-Theotokos

Je ne commencerai pas par une polémique. Ni par une revendication. Seulement par cette vérité première, trop souvent reléguée derrière des querelles d’interprétation : nul, pas même le pape, n’a autorité pour contredire l’Évangile.


Cela peut sembler évident. Mais il faut l’écrire, le redire, avec cette gravité tranquille qui protège les fondations. Le magistère de l’Église n’est pas le propriétaire de la Parole de Dieu. Il n’en est pas l’architecte, encore moins l’auteur. Il n’est que son serviteur, gardien, interprète fidèle, sous la conduite de l’Esprit.

« Le magistère n’est pas au-dessus de la Parole de Dieu, mais il la sert »(Dei Verbum, §10 ; CEC §86)

Le Christ n’a pas confié à Pierre le pouvoir de modifier son message à sa convenance, mais celui de le confesser, le proclamer, le transmettre. C’est pourquoi même les décisions disciplinaires ou pastorales de l’Église doivent être évaluées à l’aune de l’Évangile, non l’inverse. Le magistère n’a pas le dernier mot sur la vérité révélée : il doit y être fidèle, ou se taire.


C’est à partir de là, et de là seulement, que peut s’ouvrir la question délicate — mais trop souvent déformée — de la place des femmes dans la vie liturgique de l’Église, et notamment de leur mission dans la distribution de l’eucharistie.


Il ne s’agit pas ici d’un débat sur le sacerdoce féminin : l’Église a clairement enseigné que seuls les hommes peuvent recevoir le sacrement de l’Ordre, et cela, en fidélité au Christ lui-même. Il ne s’agit pas non plus d’une revendication d’égalité sociale, comme si le sanctuaire devait se plier aux catégories du siècle.


La question est plus fine, plus spirituelle : le fait qu’une femme puisse distribuer le Corps du Christ — en tant que ministre extraordinaire — est-il en contradiction avec l’Évangile ?


Ceux qui l’affirment, souvent avec une sincérité inquiète, brandissent parfois les lettres de saint Paul ou le silence liturgique des siècles passés. Mais ont-ils mesuré la profondeur biblique de la présence féminine autour du Christ ? Ont-ils vu qu’il se laisse toucher, n’exclut jamais, confie aux femmes les premières annonces de sa Résurrection ? Ont-ils compris que l’interdit à Marie-Madeleine de le « retenir » n’était pas un refus, mais un envoi, une ouverture vers une relation nouvelle, eucharistique, intérieure ?


Ce texte ne cherche pas à trancher par la force, mais à éclairer par la fidélité. Il ne s’agit pas d’opposer tradition et ouverture, mais d’écouter ce que l’Évangile dit vraiment, ce qu’il permet, ce qu’il inspire, et de discerner si ce que l’Église autorise aujourd’hui — dans les limites précises qu’elle s’est données — est ou non en cohérence avec le Christ vivant.

Car si le magistère peut évoluer sur certaines disciplines, il ne peut jamais se contredire lui-même sur l’essentiel : le Corps livré ne se refuse pas à celles qui l’aiment.


I. L’Évangile ne se soumet pas au magistère — c’est le magistère qui s’y soumet


Nous trouvons dans l’histoire de l’Église une tentation sourde, récurrente : croire que parce que l’Église enseigne avec autorité, elle peut tout. Croire que le magistère, dans sa fonction de guide, devient aussi source. Or la source est unique, inaltérable : l’Évangile de Jésus Christ, transmis par les apôtres, vécu par les saints, gardé par l’Église, mais jamais possédé par elle.

« Le magistère n’est pas au-dessus de la Parole de Dieu, mais il la sert »(Dei Verbum, §10 ; CEC §86)

Ce service est actif — le magistère éclaire, tranche, formule — mais non créateur.


Le pape, même ex cathedra, ne peut que confirmer ce qui est déjà contenu dans la Révélation. Il n’est pas libre de changer la foi. Ce qu’il ne peut pas dire aujourd’hui, il ne pourra jamais le dire demain, si cela contredit l’Écriture. Et ce qu’il affirme légitimement aujourd’hui, dans le cadre d’une décision disciplinaire ou pastorale, doit pouvoir s’accorder profondément à la cohérence interne de la Révélation.

« Le successeur de Pierre et les évêques sont les serviteurs, et non les maîtres, de l’Évangile. »(Benoît XVI, Verbum Domini, §10)

Et pourtant, un argument revient sans cesse, chez certains traditionalistes ou clercs mal formés : “ce n’est pas l’Évangile qui fait la tradition, ce sont les conciles, les Pères, le magistère”.


Sous-entendu : la tradition peut contredire le texte, parce qu’elle est vivante, inspirée, supérieure même. 


Cet argument — qui se donne des airs de théologie — est un contresens. Un sophisme. Une hérésie sourde.


Il nie ce que l’Église elle-même a toujours proclamé : que l’Écriture, la Tradition et le Magistère ne sont pas trois sources concurrentes, mais trois expressions d’une unique source divine, avec un ordre interne précis :

« L’Écriture Sainte est la parole de Dieu en tant que, sous l’inspiration de l’Esprit divin, elle est consignée par écrit ;la Sainte Tradition la transmet intégralement ;et le Magistère la sert. »(Dei Verbum, §9-10)

Ceux qui affirment que les conciles fixeraient la vérité, comme si l’Évangile était secondaire ou perfectible, tombent dans un anachronisme absurde. Le concile de Nicée ne crée pas la divinité du Christ : il la proclame face aux hérésies. Le concile de Trente ne décide pas de l’Eucharistie : il la protège contre ceux qui la réduisaient.


Les conciles ne précèdent pas la foi, ils en sont les échos définitoires, les balises face à l’erreur. Dire que la tradition précède l’Évangile, c’est retourner l’ordre même de la Révélation. C’est faire du magistère un pouvoir absolu, un tyran de la foi.


C’est confondre service et domination.


Il faut donc rappeler, en ce début de réflexion, que le magistère ne peut rien affirmer qui contredise l’Évangile.


Et que toute pratique, toute discipline, toute formulation doctrinale, pour être légitime, doit pouvoir se mesurer à cette source unique : le Christ vivant dans la Parole.


C’est à cette lumière — non à celle des habitudes ou des crispations — que doit être posée la question : le fait qu’une femme, dans certaines conditions, distribue le Corps du Christ, contredit-il l’Évangile ?


Ou au contraire : est-ce un prolongement discret mais fidèle, d’une logique déjà à l’œuvre dans l’Évangile lui-même — où des femmes touchent, servent, annoncent, portent le corps vivant et glorifié du Christ, avant les apôtres eux-mêmes ?


II. Ce que dit (et ne dit pas) l’Évangile sur les femmes et le Corps du Christ


On voudrait parfois nous faire croire que Jésus aurait institué un culte où les femmes seraient tolérées mais tenues à distance. Une place secondaire, modeste, silencieuse — presque hors-champ. Et pourtant, il suffit d’ouvrir les évangiles pour que cette fiction s’effondre.


Car ce sont les femmes qui touchent. Qui pleurent. Qui restent. 


Ce sont elles qui s’approchent, sans permission, et que Jésus accueille sans réserve.


Une femme souffrante s’approche en tremblant. Elle ne dit rien. Elle ne demande rien. Elle touche seulement le bord du manteau, et Jésus, dans la foule, s’arrête.


Il se retourne pour elle, comme si son geste avait bouleversé le tissu même du monde :

« Quelqu’un m’a touché… une force est sortie de moi »(Luc 8,46)

Il ne la rejette pas. Il ne dit pas : "Tu n’avais pas le droit". Il dit :

« Ma fille, ta foi t’a sauvée. »(Luc 8,48)

Un peu plus loin, c’est une autre femme, pécheresse publique, qui baigne ses pieds de ses larmes, les essuie avec ses cheveux, les embrasse, les parfume. Geste d’audace, de passion. Et là encore, Jésus ne la repousse pas.


Il la défend même contre l’indignation des pharisiens :

« Elle a beaucoup aimé. »(Luc 7,47)

Puis vient Marie de Béthanie, qui verse un parfum de grand prix sur son corps avant la Passion, et que Jésus proclame prophétesse :

« En vérité, partout où sera proclamé cet Évangile, on racontera aussi, en mémoire d’elle, ce qu’elle a fait. »(Matthieu 26,13)

Il faut être aveugle pour ne pas voir : le corps de Jésus, avant même qu’il ne soit livré sacramentellement, a été confié, reconnu, préparé par des mains de femme.


Il n’y a pas là un hasard, mais un signe, un pressentiment eucharistique.


Et lorsque, le matin de la Résurrection, le Christ apparaît — il ne se montre pas d’abord à Pierre, ni aux Douze, ni à Jean, "le disciple que Jésus aimait". Il se montre à une femme. À Marie de Magdala. Elle n’est pas là par hasard. Elle est là parce qu’elle est restée. Parce qu’elle a pleuré. Parce qu’elle a cherché.


Et il lui parle. Il l’envoie :

« Va dire à mes frères… »(Jean 20,17)

Cette phrase, que l’Église a reconnue comme un mandat d’annoncer la Résurrection, n’a rien d’anecdotique. Elle est une charge, une mission, un envoi. Et pourtant, le Christ ajoute cette parole étrange, souvent mal comprise :

« Ne me retiens pas » — Μή μου ἅπτου(Jean 20,17)

Ce n’est pas un interdit de contact. Le verbe haptomai signifie aussi s’accrocher, retenir, saisir pour garder. Il ne dit pas "ne me touche pas", mais : "ne me retiens pas ainsi", "laisse-moi t’échapper", "accepte que ma présence devienne autre".


Il ne lui refuse pas l’accès. Il lui montre que la foi ne peut plus être possession, qu’elle devient communion intérieure, relation eucharistique, appel à marcher dans l’Esprit, non dans la chair.


Et que dire de Thomas, quelques versets plus loin ? Homme, disciple, choisi… et qui ne touche pas non plus immédiatement. Jésus ne fait pas de distinction de genre. Il appelle à la foi, à une rencontre plus haute que le toucher.


Ce que dit l’Évangile, donc, n’est pas que les femmes doivent s’écarter du Christ, mais qu’elles ont souvent été les premières à le rejoindre, à l’aimer, à le servir, à le porter.


Alors… que signifierait interdire, par principe, à une femme de porter le Corps du Christ dans le geste humble de la communion ?


Sinon nier l’histoire même de l’Évangile, où le Corps du Christ a été préparé, oint, porté, reconnu par elles — avant même que les hommes n’osent revenir au tombeau.




III. Saint Paul et le silence des femmes : ni loi divine, ni norme universelle


Il y a dans certaines lectures modernes des Écritures une étrange rigueur : celle qui, sous prétexte de fidélité au texte, oublie l’Esprit.


On cite Paul comme on cite un décret, comme si l’Apôtre avait voulu graver dans le marbre une exclusion éternelle, là où il ajustait simplement la vie communautaire à des situations concrètes, tendues, désordonnées parfois.

« Que les femmes se taisent dans les assemblées. »(1 Co 14,34)
« Je ne permets pas à la femme d’enseigner ou de prendre autorité sur l’homme. »(1 Tm 2,12)

Ces versets, extraits de lettres pastorales et circonstanciées, sont trop souvent cités hors contexte, hors souffle, hors tradition vivante.


Pris littéralement, ils feraient mentir l’Évangile lui-même. Car comment expliquer que Marie de Magdala ait été envoyée annoncer la Résurrection aux apôtres si Paul interdit aux femmes de parler ?


Comment concilier ces mots avec la présence de Priscille, Phœbé, Junia, Lydie, Évodie, Syntyche, toutes femmes engagées, citées, honorées par Paul lui-même comme collaboratrices, diaconesses, apôtres ?


  • Phœbé est appelée diakonos (Rm 16,1), terme réservé ailleurs aux ministres masculins.

  • Junia, selon la lecture majoritaire des Pères grecs, est une femme apôtre (Rm 16,7) — saluée comme "remarquable entre les apôtres".


  • Priscille, toujours nommée avant son mari Aquilas, enseigne Apollos, l’un des grands prédicateurs de l’Église primitive (Ac 18,26). Paul ne la blâme pas, il la bénit. C’est dire qu’on ne peut tirer de deux versets — isolés, adressés à des communautés spécifiques (Corinthe, Éphèse) — une doctrine universelle et éternelle sur le silence des femmes. L’Église ne l’a jamais fait.


  • Dès les premiers siècles, les Pères de l’Église reconnaissent :– l’existence de diaconesses (surtout en Orient) ;– le rôle des femmes dans la catéchèse ;– leur sainteté, leur martyre, leur témoignage.


Aucune lecture "littéraliste" de 1 Timothée ou 1 Corinthiens n’a jamais été promue comme dogme.


Et pour cause : l’Église distingue depuis toujours entre ce qui relève de la révélation divine, et ce qui relève de l’organisation communautaire adaptée aux temps.


Ce n’est donc pas Vatican II qui aurait "réhabilité les femmes" — cette idée est une chimère.


C’est la Tradition vivante, depuis le départ, qui discernait dans les paroles de Paul ce qui était inspiré pour tous les temps, et ce qui était pastoral, situationnel.


Et c’est encore elle, fidèle à cette intelligence des Écritures, qui permet aujourd’hui à des femmes, non pas de prêcher à l’assemblée en leur nom propre, mais de distribuer le Corps du Christ — en obéissance au Christ, en silence, en service.


Car si Marie-Madeleine a été la première envoyée, ce n’est pas pour faire valoir un droit.


C’est parce qu’elle était là, humble et brûlante. Et si Phœbé a été choisie pour porter la lettre aux Romains, c’est qu’elle était digne de confiance. Il n’est question ni de hiérarchie, ni de pouvoir, mais de fidélité.


Le ministère extraordinaire de la communion, confié parfois à des femmes aujourd’hui, n’est pas un sacerdoce déguisé, ni une revendication identitaire. C’est un prolongement de cette disponibilité ancienne, de cette proximité avec le Christ, reconnue, bénie, mise au service.


IV. Ministère ordonné ≠ mission eucharistique exceptionnelle


Le langage liturgique est exigeant. Et parfois trompeur. Car à parler de “donner le Corps du Christ”, on pourrait croire qu’il s’agit d’une action identique, que l’on soit prêtre ou laïc. Or il n’en est rien.


Ce qui est : seuls les prêtres validement ordonnés peuvent consacrer l’eucharistie. 


Cela ne relève ni d’un débat contemporain, ni d’une habitude ancienne, mais d’un enseignement solennel, irréformable, défini par le Concile de Trente :

« Si quelqu’un dit que, par ces paroles : "Faites ceci en mémoire de moi", le Christ n’a pas établi les apôtres prêtres, ou qu’il n’a pas ordonné qu’ils offrent ce sacrifice, qu’il soit anathème. »(Concile de Trente, Session 23, Canon 2)

Le sacerdoce est un sacrement. Il configure l’homme au Christ-Tête, lui donne autorité sacramentelle pour agir in persona Christi dans la liturgie. Il ne peut être conféré qu’à un homme, dans la fidélité à l’appel du Christ lui-même. Ce point est clos.


Mais la question qui nous occupe ici est tout autre. Elle ne concerne ni la consécration, ni le sacerdoce, mais la distribution de la communion — et seulement dans des cas exceptionnels, encadrés, liturgiquement précis.


Qui donne l’eucharistie ?


La réponse est double :


  1. Le ministre ordinaire de la communion est :– l’évêque,– le prêtre,– le diacre.(Code de droit canonique, can. 910 §1)


  2. Le ministre extraordinaire peut être un laïc, homme ou femme, désigné par l’autorité ecclésiastique, en cas de besoin :– manque de prêtres ou de diacres ;– grand nombre de fidèles ;– maladie, isolement, etc. (can. 910 §2 ; Immensae Caritatis, 1973 ; Redemptionis Sacramentum, 2004)

« Les fidèles laïcs, hommes ou femmes, peuvent être désignés comme ministres extraordinaires de la sainte Communion. »(Redemptionis Sacramentum, §155)

Il s’agit donc d’un service, non d’un droit. D’une mission pastorale, non d’un sacrement. Et cette mission ne confère aucune autorité spirituelle, aucun pouvoir liturgique supplémentaire.


C’est une délégation provisoire, faite par l’Église, dans des cas précis, sans confusion possible avec le sacerdoce.


Refuser à une femme ce rôle au nom d’une prétendue fidélité à la tradition, c’est oublier que :

  • Ce rôle n’a jamais existé comme fonction stable dans l’histoire de l’Église avant Vatican II.

  • Il n’est réservé ni aux hommes ni aux femmes : il est pastoral, prudentiel, disciplinaire.

  • Il est strictement encadré pour éviter tout glissement vers une forme de cléricalisation des laïcs — ce que le pape François a d’ailleurs plusieurs fois rappelé.


Il ne s’agit donc pas d’ouvrir la voie à des revendications idéologiques. Il s’agit de permettre, lorsque cela est nécessaire, que le Corps du Christ soit porté à ceux qui ont faim, même lorsque le prêtre est seul, ou absent.


Et l’Église, dans sa sagesse, reconnaît que cela peut être accompli par une femme, sans trahir ni l’Évangile, ni la tradition, parce que ce n’est pas une fonction sacerdotale, mais un geste de charité liturgique.


V. Marie, figure eucharistique et non sacerdotale


Il y a dans certains débats liturgiques une étrange absence : celle de Marie. On discute du rôle des femmes dans l’Église, on scrute les textes de Paul, on invoque la Tradition — mais on oublie la Mère.


Or c’est par elle que tout commence.


Non par décret, ni par imposition des mains, mais par un oui intérieur, un silence habité, une chair livrée. Marie ne célèbre pas la messe.


Mais elle porte le Christ, le nourrit, le donne.


Elle est la première custode, le premier tabernacle, le premier reliquaire vivant du Verbe fait chair.

« Voici la servante du Seigneur. »(Luc 1,38)

Elle ne consacre pas l’Eucharistie — elle en est la source humaine.


Elle ne dit pas “Prenez et mangez” — elle donne son sang pour qu’il devienne vin de vie.


Les Pères de l’Église ont vu en Marie la figure de l’Église elle-même, non comme structure, mais comme corps mystique, épouse féconde, lieu de la présence réelle :

« Marie est le modèle de l’âme qui reçoit Dieu en elle, le modèle de l’Église qui enfante le Christ dans le monde. »(Saint Ambroise)

Elle est l’autel vivant, la matière première de l’incarnation, celle qui fait place, qui porte, qui livre — et jamais l’Église ne lui a confié le sacerdoce.


Pas par mépris. Mais parce qu’elle incarne autre chose, plus profond encore : la disponibilité absolue, la communion parfaite, l’offrande totale sans fonction.


Et c’est là que le lien avec notre sujet devient brûlant. Car si l’on dit qu’une femme ne peut, par nature, "donner" le Christ, comment comprendre que Marie elle-même l’ait fait ? Non pas sacramentellement, mais réellement, corporellement, mystiquement ?


Elle l’a porté dans ses bras. Elle l’a remis entre les mains du monde. Elle a offert son Fils — elle a livré l’Hostie vivante.


Alors qu’est-ce que distribuer l’Eucharistie, sinon ce geste répété, modeste, reconduit par grâce, de porter Celui qu’on n’a pas engendré, mais qu’on aime assez pour le livrer ?


Le ministère extraordinaire de la communion, confié parfois à une femme, n’est pas un sacerdoce clandestin. C’est une trace, une ombre, une modeste participation, dans un cadre bien défini, à ce mystère marial du don.


Marie n’a pas besoin d’être prêtre pour être plus proche du Christ que tout prêtre.


Elle donne sans consacrer, offre sans présider, aime sans revendiquer.


Et si l’Église, dans sa tradition vivante, reconnaît à certaines femmes la possibilité de porter le Christ dans le geste humble de la communion, c’est parce que ce geste est profondément marial, profondément ecclésial, profondément fidèle.


Conclusion - L’Église, dans sa sagesse, distingue sans exclure


Il faut savoir écouter l’Église dans son souffle long, non dans ses frissons passagers. Car ce qui trouble aujourd’hui a parfois déjà été discerné, éprouvé, ajusté dans l’épaisseur du temps. Il ne s’agit pas de céder à l’esprit du siècle, mais de laisser l’Esprit féconder chaque siècle, de croire que Dieu, fidèle à sa promesse, n’a jamais cessé d’accompagner son Épouse, même à travers ses disciplines changeantes, même à travers ses silences.


L’Église ne confère pas le sacerdoce aux femmes. Elle l’a confirmé avec autorité :

« L’Église n’a pas reçu de la part du Christ l’autorité de conférer l’ordination sacerdotale aux femmes, et cette position doit être tenue de manière définitive par tous les fidèles. »(Jean-Paul II, Ordinatio Sacerdotalis, 1994)

Mais dans le même souffle — et c’est là toute la justesse nuancée de la Tradition — elle n’interdit pas aux femmes de servir la liturgie, là où ce service ne relève pas du sacrement de l’ordre. Elle les reconnaît catéchètes, théologiennes, missionnaires, ministres de la Parole, saintes et martyres, Docteurs de l’Église.


Elle les autorise aussi, avec prudence, discernement, et dans un cadre bien défini, à distribuer la sainte Communion, en tant que ministres extraordinaires, dans les circonstances prévues. Ce geste n’est ni un pouvoir, ni une revendication, ni une confusion.


C’est un acte de charité, un service humble, un moyen liturgique de faire parvenir le Christ aux fidèles, quand le prêtre seul ne suffit pas.


Il ne remet pas en cause le sacerdoce.


Il l’honore même, car il permet à l’Église de vivre de l’Eucharistie là où elle manque de prêtres, sans rompre l’unité, sans trahir la source.


Et surtout — c’est là le plus important — ce geste ne contredit en rien l’Évangile.


Car l’Évangile n’interdit pas aux femmes de s’approcher.


Alors ceux qui, aujourd’hui, crient au progressisme, en brandissant l’Évangile contre l’Église — ou l’inverse — devraient se souvenir que le Christ lui-même fut accusé d’être un dangereux moderniste, un provocateur qui ne respectait pas les traditions des anciens.

« Pourquoi tes disciples ne suivent-ils pas la tradition des anciens ? »(Marc 7,5)

Et Jésus répondit — non sans rudesse :

« Vous annulez la parole de Dieu par votre tradition que vous vous êtes transmise. Et vous faites beaucoup de choses semblables. »(Marc 7,13)

Il ne s’agit pas d’opposer la Tradition et l’Écriture — mais de refuser une tradition qui se durcit en exclusion, qui oublie que la discipline n’est pas une fin en soi, mais un chemin d’accueil, de sanctification, de miséricorde.


Oui, les textes apostoliques s’inscrivent dans un monde imprégné de structures patriarcales.Oui, l’Église, dans sa discipline, a parfois intégré des représentations issues de son époque, sans toujours pouvoir les discerner pleinement comme contingentes.


Mais ce n’est ni un reniement, ni une faiblesse, de reconnaître que l’Esprit Saint travaille les siècles comme il travaille les cœurs — lentement, sans violence, sans confusion, mais avec une force irrésistible.

« Ne cherchez pas à arracher l’ivraie… Laissez les deux pousser ensemble jusqu’à la moisson. »(Matthieu 13,29-30)

Ce n’est pas à nous d’écrémer le monde à la serpe, ni de rejeter tout ce qui, dans les mouvements de notre temps, porte parfois aussi une juste soif de vérité. Le Christ ne nous demande pas de devenir inquisiteurs du progrès, mais témoins d’un salut plus vaste que nos catégories.


Distribuer le Corps du Christ, quand l’Église le demande, quand le besoin l’impose, n’est pas un affront au sacré.


« Laissez croître l’ivraie avec le bon grain jusqu’à la moisson »(Matthieu 13,30)

Ce n’est pas notre zèle qui sauve. C’est la patience de Dieu, son discernement dans le temps, sa grâce qui agit dans les failles — et parfois, là où nous n’aurions rien semé.


C’est une fidélité. Un prolongement. Une main tendue, qui ne prend rien pour elle, mais passe, comme un canal, ce que Dieu veut donner.


Et si cette main est celle d’une femme, pourquoi en être surpris ?


Ce fut souvent le cas au pied de la Croix.



 
 
 

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