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Le Jardinier et la Réconciliation du Féminin : De Lilith à Marie Magdala, une lecture pascale

  • Photo du rédacteur: Cyprien.L
    Cyprien.L
  • 16 avr.
  • 14 min de lecture

Dernière mise à jour : 21 avr.

Nota Bene – À propos de cette lecture

Cet article ne prétend pas livrer une interprétation dogmatique des Évangiles, mais propose une méditation symbolique et théologique, dans l’esprit des lectures typologiques pratiquées depuis les Pères de l’Église. En évoquant la figure de Lilith — issue de la tradition juive extra-biblique — comme contrepoint littéraire à Marie de Magdala, il ne s’agit pas d’affirmer une réincarnation, ni de lui accorder un statut théologique canonique. Il s’agit de contraster deux figures symboliques, l'une mythique l'autre historique, pour mieux contempler la restauration du féminin accomplie dans la rencontre entre le Christ ressuscité et Marie-Madeleine.


Marie de Magdala dans le jardin de la Résurrection : une relecture symbolique de Jean 20 à la lumière de la tradition catholique. Entre Ève, Lilith et l’appel du Christ, une figure féminine réconciliée, non dans la rébellion mais dans l’amitié divine.
Peinture baroque représentant Marie de Magdala dans le jardin du matin de Pâques, à genoux devant le Christ ressuscité vêtu en jardinier. Atmosphère lumineuse, symbolique de résurrection, de pardon et de révélation. Style clair-obscur, expressivité des gestes et richesse des drapés.

Jean 20,11-18 – Marie Madeleine voit le Ressuscité


11 Cependant, Marie se tenait près du tombeau, au-dehors, tout en pleurs. Et en pleurant, elle se pencha vers le tombeau. 12 Elle aperçoit deux anges vêtus de blanc, assis l’un à la tête et l’autre aux pieds, à l’endroit où avait reposé le corps de Jésus. 13 Ils lui demandent : « Femme, pourquoi pleures-tu ? » Elle leur répond : « On a enlevé mon Seigneur, et je ne sais pas où on l’a mis. » 14 Ayant dit cela, elle se retourna et elle voit Jésus qui se tenait là, mais elle ne savait pas que c’était Jésus. 15 Jésus lui dit : « Femme, pourquoi pleures-tu ? Qui cherches-tu ? » Le prenant pour le jardinier, elle lui répond : « Seigneur, si c’est toi qui l’as emporté, dis-moi où tu l’as mis, et moi, j’irai le prendre. » 16 Jésus lui dit : « Marie ! » S’étant retournée, elle lui dit en hébreu : « Rabbouni ! », c’est-à-dire : Maître. 17 Jésus reprend : « Ne me retiens pas, car je ne suis pas encore monté vers le Père. Va trouver mes frères pour leur dire que je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu. » 18 Marie Madeleine s’en va donc annoncer aux disciples : « J’ai vu le Seigneur », et elle raconta ce qu’il lui avait dit.


Introduction – Une femme dans un jardin : l’aube d’une nouvelle Genèse


L’Évangile de Jean place la scène fondatrice de la résurrection dans un lieu très particulier : un jardin. « Or, il y avait un jardin dans le lieu où Jésus avait été crucifié, et dans le jardin, un tombeau neuf » (Jean 19,41). Et c’est là, dans cet espace clos et silencieux, à l’aube encore grise du premier jour, qu’une femme pleure, cherche et rencontre. Marie de Magdala. C’est à elle — et à elle seule — que le Ressuscité se manifeste en premier. Non pas à Pierre, non pas au disciple bien-aimé, mais à cette femme aux marges, que la tradition a longtemps désignée comme pécheresse, possédée, excessive.

Et c’est précisément là que le texte devient plus qu’un simple récit. Il devient une relecture de l’histoire humaine. Le jardin évoque d’emblée un autre jardin : Éden. Une autre femme : Ève. Un autre homme : Adam. Dans la Genèse, la femme parle à un esprit trompeur, tend la main vers le fruit, mange, et entraîne l’homme avec elle dans la chute. Dans Jean, la femme cherche un corps, se laisse appeler par son nom, et annonce la résurrection. Deux récits, deux jardins, deux matins de l’humanité. L’un clôt la confiance, l’autre ouvre la foi.

Mais Marie de Magdala n’est pas Ève. Et elle n’est pas non plus Marie, la Mère du Christ, que la tradition appelle la nouvelle Ève, la Vierge obéissante par qui la vie entre dans le monde. Alors qui est-elle ? Quel rôle occupe-t-elle dans ce grand retournement des choses ? Elle n’est ni mère, ni épouse, ni disciple au sens strict. Et pourtant, elle est là, au seuil du mystère, debout entre la mort et la vie, entre l’absence et l’appel, entre la nuit et le jour.

Et si elle était une figure oubliée de l’humanité ancienne ? Et si, derrière ce nom — Marie de Magdala — se profilait l’ombre d’un autre nom, très en vogue dans la Pop-culture contemporaine, un autre archétype, plus ancien encore que celui d’Ève : Lilith ? Celle que la tradition juive ancienne désigne comme la première femme, la rebelle, la fugitive, celle qui refusa de se soumettre à Adam. Si Ève est celle qui chute, Lilith est celle qui s’enfuit. Et Marie de Magdala, elle, revient. Elle ne fuit pas le tombeau, elle l’habite. Elle ne cherche pas à dominer, mais à aimer. Elle ne réclame pas son droit, mais elle écoute sa vocation.

Ce texte propose donc une relecture symbolique et théologique de cette scène évangélique en apparence simple. Il s’agira de suivre Marie de Magdala dans ce jardin, non comme simple témoin, mais comme figure de réconciliation du féminin. Une figure pascale, qui ne remplace pas la Vierge, mais qui accomplit autrement ce que la Création avait laissé inachevé. En elle, La Lilith rebelle et bléssé trouvent un chemin de retour vers le Jardin, non plus interdit, mais rouvert par le Jardinier lui-même.


Le Christ jardinier : nouvel Adam, gardien de la Vie


Quand Marie de Magdala voit Jésus pour la première fois après sa résurrection, elle ne le reconnaît pas. Elle pense qu’il est le jardinier (Jean 20,15). Ce détail, en apparence anecdotique, est d’une densité symbolique exceptionnelle. L’Évangile selon saint Jean ne laisse jamais rien au hasard : chaque mot y est chargé d’échos scripturaires. Et celui-ci nous ramène au tout début : à l’Éden.

Dans Genèse 2,15, Dieu place Adam dans le jardin pour « le cultiver et le garder ». Adam est le premier jardinier. Mais il échoue à garder le jardin — non seulement dans le sens matériel, mais spirituellement : il ne protège ni l’arbre, ni la parole de Dieu, ni sa compagne. Il laisse entrer le mensonge, il laisse s’enraciner le doute, puis le désir de toute-puissance. Le jardin devient lieu de rupture, puis d’expulsion.

Mais au matin de la Résurrection, le jardin n’est plus fermé par des chérubins, il est ouvert par la lumière. Et Jésus y apparaît — non comme maître, ni juge, ni roi, mais comme un jardinier. Le mot grec utilisé dans Jean 20,15, κηπουρός (kēpouros), signifie littéralement « celui qui veille sur le jardin ». Non plus celui qui exploite, mais celui qui prend soin. Le Christ, nouvel Adam (cf. 1 Corinthiens 15,45), n’est pas venu pour conquérir, mais pour garder, nourrir, et faire fructifier ce qui avait été abandonné.

Ce jardin du tombeau devient alors un jardin de recréation. Il est le lieu où la mort a été déposée — et le lieu d’où surgit la vie. Le Christ y devient le gardien du monde nouveau, le protecteur silencieux de la semence de la résurrection. Là où Adam avait laissé l’arbre de vie inaccessible, Jésus fait de son corps livré le nouvel arbre, et de son sang versé la sève d’une création régénérée.


Ce jardin n’est pas un retour nostalgique à l’Éden. Il est l’actualisation de la promesse. L’homme n’a pas été créé pour dominer la terre, ni pour fuir Dieu, mais pour habiter un lieu de communion. Le Christ, en apparaissant comme jardinier, manifeste que le monde restauré commence par la garde des vivants, par la patience, par l’écoute.

Et il y a plus. Si Marie confond le Christ avec un jardinier, c’est peut-être aussi parce que, d’une certaine manière, il l’est vraiment. Pas seulement parce qu’il est dans un jardin, mais parce qu’il cultive l’âme. Il l’appelle doucement. Il n’impose pas son identité. Il l’éveille à elle-même. Il ne se révèle pas immédiatement : il fait croître la foi, dans le silence et le regard.

Le Christ jardinier est le contraire du Serpent. Là où le mensonge flattait l’orgueil, lui éveille la mémoire. Là où le désir prenait, il donne le nom. Là où l’arbre fut interdit, il devient la vigne véritable, dont les sarments vivront (cf. Jean 15,1).

Ce jardin pascal est le sanctuaire du monde nouveau. Un lieu discret, à l’aube, où la femme fidèle rencontre le Dieu vivant — non plus pour chuter, mais pour être envoyée. Et le premier geste du Christ ressuscité est celui du jardinier : appeler, nommer, faire fleurir une parole.


Lilith : une rupture fondée sur le pouvoir

Le noyau du mythe de Lilith (en tant qu’esprit féminin nocturne, séducteur ou stérile) remonte bien à l’Antiquité mésopotamienne, plus de 1000 ans avant l’ère chrétienne. Mais la version complète du récit où elle est la première femme d’Adam qui refuse la hiérarchie sexuelle et s’exile volontairement n’apparaît qu’au Moyen Âge, dans une tradition midrashique non canonique, issu de traditions juives extra-bibliques comme l’Alphabet de Ben Sira (Xe siècle), présente une figure féminine fascinante et ambivalente. Lilith y apparaît comme la première femme d’Adam, créée non pas après lui, mais en même temps que lui, à partir de la même matière.Mais très vite, la relation se brise : Lilith refuse de se soumettre, notamment dans l’union sexuelle, ne supportant pas d’être "en dessous". Elle revendique une égalité qui n’est pas seulement spirituelle ou existentielle, mais placée dans un cadre hiérarchique structuré par le pouvoir et le désir. Face à l’impasse, elle quitte le jardin. Ce départ — et non une chute — devient la matrice du mythe : Lilith n’est pas exclue, elle s’exclut. Et elle devient, selon les récits postérieurs, une figure démoniaque, errante, séductrice et dangereuse.Ce mythe, profondément non canonique, ne fait partie ni de l’Écriture inspirée, ni de la Tradition reconnue par l’Église. Il s’agit d’une élaboration tardive, issue de milieux mystiques ou folkloriques, écrite par des hommes dans un contexte très marqué par des représentations blessées et craintives du féminin. Lilith y apparaît moins comme un personnage réel que comme une projection symbolique, façonnée par la peur du corps, du désir et de l’indépendance féminine. Ce récit ne reflète donc pas une vérité révélée, mais une vision plus humaine que divine des relations entre homme et femme — une vision réductrice, où l’altérité est ramenée presque exclusivement à la sexualité, et la relation à une lutte de domination. L’obéissance y est confondue avec l’écrasement, et la liberté avec la fuite. Le féminin devient soit soumis, soit dangereux ; le masculin, soit dominateur, soit trahi.On y décèle une anthropologie blessée, où la communion n’est plus pensable sans hiérarchie sexuelle rigide, et où la relation devient affrontement. Le féminin n’y est pas écouté, il est craint ou jugé. Et c’est justement cette logique déformée, profondément enracinée dans l’imaginaire collectif, que l’Évangile vient renverser — non pas par la force, ni par un discours de revanche, mais par l’appel d’un nom, dans le silence d’un jardin. Là où le mythe enferme, le Ressuscité libère. Là où la révolte isole, la voix du Christ restaure.

Marie de Magdala : ni Ève, ni Vierge, mais une Lilith réconciliée


Dans le jardin pascal, face au Jardinier divin, une femme pleure, cherche, écoute. Cette femme n’est pas la Vierge Marie — celle que l’Église reconnaît comme la Nouvelle Ève, l’archétype de l’obéissance parfaite et de la maternité divine. Marie de Magdala est autre. Elle est une femme au passé trouble, une femme libérée de sept démons (cf. Luc 8,2), une femme de fidélité incarnée. Et c’est elle que le Ressuscité choisit pour se manifester en premier.


À ce titre, elle ne peut être réduite à une figure secondaire. Elle incarne un autre visage du féminin, celui de la femme blessée, guérie, enseignée, envoyée. Là où Ève tendait la main vers le fruit de l’arbre, croyant devenir comme Dieu (cf. Gen 3,5), Marie ne retient pas le Christ. Lorsqu’il lui dit : « Ne me retiens pas » (Jean 20,17), elle obéit. Elle renonce à s’approprier Celui qu’elle aime. Elle accepte de ne pas comprendre pleinement. Elle choisit d’écouter. Ce simple geste — ou plutôt ce refus de geste — est un renversement radical du geste d’Ève. Là où la première femme prenait pour maîtriser, la femme du jardin pascal reçoit pour transmettre.

Elle n’est pas une nouvelle Ève, mais une figure parallèle :


Celle de la femme qui consent à ne pas saisir, celle qui accepte de ne pas détenir, celle qui devient messagère plutôt que détentrice.


Mais qui est-elle vraiment ?

Marie de Magdala, aussi appelée Marie Madeleine, est une figure complexe et lumineuse du Nouveau Testament. L’Évangile de Luc la présente comme l’une des femmes ayant été libérées par Jésus de sept démons (Luc 8,2) — signe d’une délivrance profonde. Elle devient l’une de ses plus fidèles disciples, le suit jusqu’au pied de la Croix, assiste à sa mise au tombeau (Matthieu 27,61), et se rend la première au matin de Pâques pour embaumer son corps. Dans la tradition patristique occidentale (à partir de Grégoire le Grand), elle est souvent identifiée à la pécheresse anonyme de Luc 7,36-50, ainsi qu’à Marie de Béthanie — interprétation qui accentue sa dimension de femme sauvée, aimante, et profondément transformée.


Mais un autre nom peut surgir ici, plus ancien, plus obscur : Lilith. Cette figure du mythe juif extra-biblique, considérée comme la première femme d’Adam dans l’Alphabet de Ben Sira, refuse la hiérarchie, fuit l’alliance, et devient errante. Lilith revendique une égalité radicale, mais dans un langage de conflit : sa relation à l’homme est pensée en termes de domination sexuelle et symbolique. Elle quitte le jardin pour ne pas être dominée, mais au prix d’un isolement absolu. La féminité devient dissociée, séparée, contre l’homme plus que face à lui.

Marie de Magdala est, dans cette lecture, l’opposée parfaite de Lilith — non pas dans une soumission, mais dans une réconciliation. Elle revient. Elle entre dans le jardin non pour revendiquer, mais pour chercher. Elle ne se déclare ni maîtresse ni rebelle. Elle se laisse nommer. Elle n’impose rien, mais elle devient celle qui reçoit la première parole du Vivant.

Cette parole la constitue : « Marie ! » (Jean 20,16). Avant même qu’elle ne le reconnaisse, il l’appelle. C’est dans l’appel personnel, intime, que se révèle son identité véritable : non plus celle d’une femme dépossédée, mais d’une disciple reconnue, restaurée, relevée. Et c’est à elle qu’est confiée l’annonce aux frères, comme le dit Jésus lui-même : « Va trouver mes frères et dis-leur… » (Jean 20,17).


La tradition catholique, par la voix de saint Thomas d’Aquin, n’a pas hésité à appeler Marie-Madeleine "l’apôtre des apôtres" (apostola apostolorum), non parce qu’elle exerce une autorité hiérarchique ou sacramentelle, mais parce qu’elle est la première témoin, la première messagère, la première envoyée.


Marie de Magdala représente ainsi une autre voie de réintégration du féminin : non dans la rivalité ou l’effacement, mais dans l’écoute, la mission, et la fidélité. Elle est la mémoire d’un féminin qui ne cherche plus à prendre la place de l’autre, mais à prendre sa place auprès de l’Autre. Elle n’est ni Ève séduite, ni Lilith révoltée, ni Marie Mère de Dieu — elle est Marie la fidèle, Marie la guérie, Marie l’envoyée.


Et si le Christ l’appelle par son nom, c’est qu’il l’introduit dans un nouveau type de relation, fondée non plus sur la distance entre maître et serviteur, mais sur une intimité d’élection et de confiance. Cette parole qu’il adresse à ses disciples au soir de la Cène s’accomplit ici avec elle, dans le jardin :

« Je ne vous appelle plus serviteurs, car le serviteur ne sait pas ce que fait son maître. Je vous appelle amis, parce que tout ce que j’ai entendu de mon Père, je vous l’ai fait connaître. » (Jean 15,15)

Le mot grec pour "amis" est φίλοι (phíloi), dérivé de philia, qui désigne une amitié libre, choisie, marquée par la réciprocité, la tendresse et la fidélité — une amitié fondée sur la connaissance partagée et le consentement. Ce n’est ni une subordination ni une pure affection, mais un lien d’égalité dans l’amour reçu et transmis.


Dans la tradition hébraïque, l’ami se dit רֵעַ (re‘a) — compagnon de route, voisin, proche — ou אָהוּב (ahouv) — aimé, chéri. Ces termes, surtout dans les psaumes et le Cantique des Cantiques, désignent des relations de confiance, d’intimité, de proximité non hiérarchique. Ce que Dieu avait perdu avec l’homme au jardin d’Éden — cette amitié rompue —, il la restaure dans ce nouveau jardin, par une femme qui ne s’empare pas, mais qui écoute.


Marie Madeleine devient ainsi la première amie du Ressuscité, celle à qui il se confie, celle qu’il envoie. Non par mérite, mais parce qu’elle est restée, et qu’elle a écouté. Cette amitié, fruit de la grâce, est la clef de toute annonce authentique : non imposer, mais témoigner. Non posséder, mais transmettre.


Le Jardin réouvert : la première parole de la Résurrection passe par la femme revenue


Dans la Genèse, après la chute, le jardin est fermé. Un chérubin, épée flamboyante à la main, garde l’accès à l’arbre de vie (Genèse 3,24). L’homme et la femme ont fui la voix de Dieu, et Dieu les a vêtus d’une tunique, puis éloignés du sanctuaire qu’ils ne savaient plus habiter.

Dans l’Évangile, à l’aube du troisième jour, le jardin est à nouveau ouvert, mais cette fois sans épée ni jugement. Il est vide de gardes, mais plein d’attente. Ce n’est plus un lieu de fuite, mais le lieu d’un appel. Et dans ce jardin, c’est une femme qui reste. C’est elle qui pleure. C’est elle qui cherche. Et c’est elle que Dieu appelle, non plus pour lui demander : "Où es-tu ?", mais pour lui dire : "Marie."


Par cette parole, le lien est restauré. La séparation d’Éden est effacée non par un décret, mais par un nom prononcé. Ce n’est plus l’homme qui se cache, c’est Dieu qui se montre. Et non pas à celui qui avait promis fidélité (Pierre), ni à celui qui était resté au pied de la croix (Jean), mais à celle qui était demeurée, même sans comprendre.

Marie de Magdala devient ainsi le seuil du monde nouveau. Elle ne fait pas retour à l’Éden, mais elle entre dans le jardin de la Résurrection, où l’arbre n’est plus interdit, mais devenu croix, et où le fruit est devenu Eucharistie vivante.


Mais il est nécessaire de le souligner : ce chemin de vie et de restauration n’est pas celui que propose le monde. Dans une inversion profonde des symboles, la figure de Lilith, autrefois perçue comme errante, douloureuse, séparée, est aujourd’hui récupérée et glorifiée comme icône de libération violente, parfois même de puissance spirituelle contre l’homme. Cette exaltation de la rébellion, revendiquée au nom de l’indépendance, se manifeste souvent dans un discours de vengeance : contre le père, contre l’homme, contre Dieu.


Or cette vengeance — aussi compréhensible qu’elle soit dans une histoire marquée par les blessures du féminin — n’ouvre pas un chemin de vie. Elle produit une stérilité spirituelle, une rupture féconde en ressentiment mais stérile en amour. La culture contemporaine appelle cela justice, mais elle oublie que la vraie justice ne peut se construire sur la haine.

« À moi la vengeance et la rétribution, au moment où leur pied fléchira ; car le jour de leur malheur est proche… Le Seigneur fera justice à son peuple, il aura pitié de ses serviteurs » (Deutéronome 32,35-36)

La vengeance de Dieu, dans l’Écriture, n’est pas un retour de flammes, mais une restauration de la justice par l’amour. Et dans l’Évangile, elle prend une forme inimaginable : le Dieu offensé choisit de mourir pour les coupables.

« Père, pardonne-leur : ils ne savent pas ce qu’ils font » (Luc 23,34)

Voilà la vengeance du Christ : vaincre le mal non par la force, mais par le pardon.

« Ne vous vengez pas vous-mêmes, bien-aimés ; laissez agir la colère de Dieu, car il est écrit : C’est moi qui fais justice, c’est moi qui rétribuerai, dit le Seigneur » (Romains 12,19)

Dans cette lumière, le chemin de Marie-Madeleine est un contre-témoignage face à la vengeance célébrée par le monde. Elle ne revendique pas, elle ne s’impose pas, elle ne détruit rien. Elle se laisse relever. Elle écoute. Elle reçoit. Et elle devient féconde.

La première parole de la Résurrection ne passe pas par la violence ni la révolte, mais par la femme revenue, celle qui a laissé la grâce faire justice en elle. Non par la vengeance, mais par l’amour plus fort que la mort.


Et c’est par elle, femme restaurée, amie du Christ, que la première parole de la Résurrection parvient aux frères. Elle ne proclame pas une idée. Elle ne délivre pas une doctrine. Elle dit simplement :

« J’ai vu le Seigneur » (Jean 20,18)

Cette parole, d’une radicale simplicité, ouvre tout. Elle est la première voix du monde nouveau. Et si le jardin d’Éden s’était refermé sur la peur, le jardin pascal s’ouvre sur une voix féminine qui dit : il est vivant.


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