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« Ils deviendront une seule chair » : de la Genèse à l’Eucharistie, mystère nuptial du Christ et de l’Église

  • Photo du rédacteur: Cyprien.L
    Cyprien.L
  • 21 avr.
  • 13 min de lecture

« Ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare. » (Mt 19,6)

Exploration théologique de Genèse 2,24 : « Ils deviendront une seule chair », de l’union nuptiale à l’Eucharistie, lumière du Christ sur l’Ancien Testament.
Peinture baroque symbolique : l’Arbre de Vie enraciné dans un calice eucharistique, illuminé d’hosties rayonnantes, entre Adam et Ève transfigurés.

Introduction : De la chair à la communion


« Et les deux deviendront une seule chair. » (Gn 2,24). Derrière cette parole fondatrice, souvent réduite à sa dimension sexuelle ou matrimoniale, se cache un mystère d’une profondeur théologique insoupçonnée. À première vue, il s’agit d’un récit de création, d’une institution primitive du mariage entre l’homme et la femme. Mais à la lumière de l’Évangile, des Épîtres de saint Paul et surtout de la lecture qu’en font les Pères de l’Église, cette « chair une » prend un autre visage : celui d’une union qui dépasse l’ordre biologique, pour toucher à l’eschatologique, au mystique, à l’eucharistique.


Car si le langage charnel peut désigner l’union des corps, il est aussi, dans l’économie biblique, le lieu où Dieu se donne à voir, à toucher, à manger. C’est dans la chair que le Verbe se fait homme. Et c’est encore dans la chair — offerte, transfigurée, donnée — que l’union entre Dieu et l’humanité s’accomplit. Dès lors, peut-on comprendre la formule de Genèse 2,24 comme une simple désignation de la sexualité humaine ? Ou faut-il y lire déjà, en filigrane, une prophétie de l’union du Christ avec l’Église, son Épouse, dans le mystère du Corps livré et du Sang versé ?


Loin d’être une formule banale ou simplement biologique, « ils deviendront une seule chair » ouvre sur un mystère théologique fondamental, où se rejoignent le mariage, l’Église et l’Eucharistie. C’est à cette lecture approfondie, nourrie des Écritures et de la tradition des Pères, que nous allons maintenant nous consacrer.


I. Une chair prophétique : sens spirituel et mystique de Genèse 2,24


La phrase de Genèse 2,24 — « Et ils deviendront une seule chair » — est souvent interprétée de manière immédiate comme une référence sexuelle. Pourtant, la tradition de l’Église, éclairée par les Pères et les apôtres, propose une lecture bien plus haute et spirituelle de cette parole. Car si l’union des corps est bien présente dans le texte, elle ne constitue pas le cœur de la révélation : la « chair une » devient, à la lumière du Christ, la figure prophétique d’une communion totale entre Dieu et l’humanité, annoncée dès les origines.


Une formule plus vaste que la sexualité

Le texte hébreu utilise בָּשָׂר (bāśār), que la Septante traduit par σάρξ (sárx). Or, dans le monde biblique, ce terme ne désigne pas seulement la matière corporelle, mais l’être humain dans sa totalité, vulnérable et incarnée. L’union charnelle est bien en jeu, mais elle n’est qu’un support sensible d’un mystère plus profond. Déjà, la structure du verset nous oriente vers une signification plus haute :

« C’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère, s’attachera à sa femme, et les deux deviendront une seule chair. » (Gn 2,24)

L’acte de quitter et de s’attacher renvoie à une alliance, non à une pulsion. Et cette alliance n’est pas simplement biologique, mais ontologique: l’homme et la femme forment un nouvel être relationnel, qui pointe vers une réalité plus grande.


Une unité fondée sur la parole : Ish et Isha, Ἀνήρ et Γυνή

La profondeur du récit de Genèse 2 se révèle aussi à travers le jeu linguistique entre les mots Ish (אִישׁ, homme) et Isha (אִשָּׁה, femme), qu’Adam emploie en voyant celle qui est tirée de lui :

« Cette fois-ci, voilà l’os de mes os et la chair de ma chair. On l’appellera femme (Isha), car elle a été prise de l’homme (Ish). » (Gn 2,23)

Ce jeu de mots, unique dans la Bible hébraïque, montre que la différenciation sexuelle n’est pas une séparation, mais une communion différenciée. L’un est tiré de l’autre, non pour être inférieur ou dominé, mais pour signifier que leur altérité fonde leur relation, non leur opposition. La Septante traduit ces deux termes par Ἀνήρ (aner, homme) et Γυνή (gynê, femme), des termes qui, en grec, désignent aussi les époux — renforçant la dimension conjugale mais aussi symbolique et sacrée de cette reconnaissance mutuelle.

Ce premier acte de langage humain est un poème nuptial, une parole d’émerveillement, et déjà une prophétie. Car le Christ, Nouvel Adam, reconnaîtra l’Église comme « son os et sa chair », non par le sang de la génération, mais par le sang de la rédemption. Et l’Église, Nouvelle Ève, née de son côté, recevra ce nom nouveau dans la gloire : l’Épouse de l’Agneau.


Saint Paul : la chair une comme mystère du Christ

Saint Paul reprend littéralement ce verset dans la lettre aux Éphésiens, pour lui donner une dimension christologique :

« C’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère et s’attachera à sa femme, et les deux deviendront une seule chair. Ce mystère est grand ; je le dis en référence au Christ et à l’Église. » (Ep 5,31-32)

Paul ne rejette pas le sens conjugal, mais il l’accomplit dans une lecture typologique : le véritable Époux est le Christ, et la véritable Épouse est l’Église. Dès lors, la « chair une » de Genèse 2 ne renvoie plus seulement à une union entre deux corps, mais à l’union sacramentelle entre Dieu et l’humanité — un mystère d’amour et de donation totale, scellé dans la chair offerte du Christ.


Saint Augustin : de la côte d’Adam au côté du Christ

Cette lecture est déjà présente chez les Pères. Saint Augustin, dans son 67e Traité sur l’Évangile de Jean, médite ainsi :

« Le second Adam, Jésus-Christ, ayant baissé la tête, s’est endormi sur la croix, pour qu’une épouse lui fût donnée, et pendant son sommeil, cette épouse est sortie de son côté. »​

Ève tirée du côté d’Adam est pour Augustin la figure de l’Église, née du sang et de l’eau jaillis du côté transpercé du Christ (cf. Jn 19,34). La « chair une » est donc l’Église née de la chair du Fils, dans une union mystique irréductible à la sexualité.


Saint Thomas : la chair une comme sacrement

Saint Thomas d’Aquin résume cette interprétation théologique dans la Somme contre les Gentils :

« Ce sacrement [du mariage] représente l’union du Christ et de l’Église […]. C’est là un grand mystère : je le dis du Christ et de l’Église. »

Le mariage devient ainsi le signe sacramentel de l’union plus haute : celle où le Verbe fait chair s’unit à l’Épouse dans la foi, les sacrements et l’amour divin. L’union des époux n’est plus fin en soi : elle est figure.


II. Chair et esprit chez saint Paul : opposition ou transfiguration ?


La notion de « chair » dans les Écritures, et particulièrement chez saint Paul, semble à première lecture problématique. On la retrouve souvent opposée à l’Esprit, et dès lors, on pourrait croire que toute chair serait marquée du soupçon, du péché, voire du mépris. Cette lecture a nourri des malentendus, et parfois même des tendances dualistes, incompatibles avec l’anthropologie chrétienne. Pourtant, une étude attentive des textes montre que Paul ne condamne pas la chair en tant que telle, mais bien l’homme livré à lui-même, refermé sur son autonomie : la « chair » devient alors le symbole d’une vie sans Dieu. Or c’est précisément cette chair que le Christ vient assumer, pour la sauver.


La chair chez Paul : un mot, plusieurs sens

Le mot σάρξ (sárx) chez Paul peut désigner :


  • le corps humain dans sa fragilité naturelle (cf. 2 Co 4,11),

  • l’humanité pécheresse, soumise à la loi du péché (cf. Rm 8,3 ; Gal 5,17),

  • mais aussi l’incarnation du Fils de Dieu, qui est « venu dans une chair semblable à celle du péché » (Rm 8,3).


Il faut donc éviter tout amalgame : la chair n’est pas mauvaise en soi. Ce que Paul dénonce, ce n’est pas l’incarnation ni la sexualité, mais la fermeture à la grâce, la volonté de vivre sans Dieu.

« La chair a des désirs contraires à ceux de l’Esprit, et l’Esprit en a de contraires à ceux de la chair. » (Ga 5,17)« Mais maintenant, libérés du péché, vous êtes devenus esclaves de Dieu : vous portez du fruit pour la sainteté, et la fin en est la vie éternelle. » (Rm 6,22)

La « chair » ici désigne l’état de l’homme livré à lui-même, sans conversion. Elle n’est donc pas la réalité corporelle, mais l’autonomie déchue.


Une chair assumée, non abolie

Contre les erreurs dualistes (comme celles des gnostiques ou manichéens), Paul affirme clairement que le salut passe par la chair :

« Le Christ Jésus […] s’est manifesté en chair, justifié dans l’Esprit, vu des anges, proclamé parmi les nations. » (1 Tm 3,16)

Le Christ ne méprise pas la chair : il l’endosse, il l’assume, il la transfigure. En se faisant chair, il vient unir notre condition mortelle à sa divinité. Cette chair est la condition même de notre salut, et devient, en lui, lieu de gloire :

« Glorifiez Dieu dans votre corps » (1 Co 6,20)
Le corps, temple de l’union divine

Loin d’opposer le corps à l’Esprit, Paul affirme au contraire que le corps devient le temple de l’Esprit :

« Ne savez-vous pas que votre corps est le temple de l’Esprit Saint, qui est en vous et que vous avez reçu de Dieu ? » (1 Co 6,19)

Cette phrase est souvent détournée pour des appels moralisants, mais elle contient en réalité une promesse immense : notre chair, purifiée, devient le lieu de Dieu. Le salut ne consiste pas à quitter la chair, mais à la faire entrer dans la gloire.


Une chair pour une union nouvelle

Dans ce contexte, l’union des époux devient le signe d’une union encore plus réelle : celle de l’Église avec le Christ. Il ne s’agit pas d’un rapport sexuel sacralisé, mais d’un mystère symbolique et sacramentel. La « chair une » désigne une réalité pneumatique — une communion qui implique le corps, mais qui est spirituellement unifiée par l’Esprit Saint.

Ainsi, loin de mépriser la chair, Paul lui donne une place décisive dans l’économie du salut : elle est ce qui est sauvé, transformé, glorifié. La sexualité humaine, assumée dans l’amour et la fidélité, peut ainsi devenir le lieu d’une grâce, mais elle est dépassée dans le mystère qu’elle figure — celui de la donation eucharistique, où la chair du Christ devient notre nourriture.


III. Du mariage à l’Eucharistie : la chair offerte devient communion


Si le mariage, dans le langage biblique, est appelé à devenir une seule chair, l’Évangile va plus loin encore : non seulement il révèle que cette chair peut être transfigurée, mais il montre que le vrai époux est le Christ, et que l’union qu’il propose à son Église n’est pas seulement figurative, mais réelle — dans le don de sa propre chair. Le mystère nuptial culmine dans l’Eucharistie, où ce qui était figure devient réalité.


Le mariage, icône d’une autre union

Dès la Genèse, l’union conjugale est pensée comme alliance : un engagement, une promesse de fidélité, un devenir commun. Dans le contexte chrétien, cette promesse prend un nouveau visage : elle devient sacrement, signe visible d’une grâce invisible.

Saint Thomas le dit avec clarté :

« L’union de l’homme et de la femme dans le mariage est le signe de l’union du Christ et de l’Église. »​

Ce n’est pas l’acte charnel en lui-même qui fonde la sainteté, mais l’alliance qu’il signifie, la fidélité qu’il engage, et le mystère qu’il reflète. L’union charnelle devient un sacrement lorsqu’elle est ouverture au don de soi, enracinée dans l’amour du Christ.


« Ceci est mon corps » : la parole qui accomplit

Le Christ, au soir de sa Passion, reprend à son compte les mots du don conjugal :

« Ceci est mon corps, livré pour vous. » (Lc 22,19)

Ce n’est plus ici le langage des noces humaines, mais le langage de l’Alliance nouvelle. Le Christ s’unit à son Église par le don total de sa chair. Et ce don n’est pas symbolique : il est réel, sacramentel, vivant. Le pain devenu corps, le vin devenu sang, ne sont pas des métaphores, mais la chair même du Fils, offerte pour engendrer une communion nouvelle.

Saint Paul le confirme :

« Puisqu’il y a un seul pain, nous, la multitude, nous sommes un seul corps. » (1 Co 10,17)

La vraie « chair une » est ici : dans l’Eucharistie, les membres de l’Église deviennent réellement le corps du Christ, par la chair du Christ.


La nouvelle chair est eucharistique

Ce qui était annoncé dans le mariage d’Adam et Ève est donc accompli dans le mystère eucharistique. L’union n’est plus simplement charnelle : elle est sacramentelle, ontologique, divine. Ce n’est plus seulement deux êtres qui deviennent un : c’est Dieu qui se donne à l’homme pour faire de lui son corps vivant.


Saint Augustin l’exprime ainsi :

« Si vous êtes le corps du Christ et ses membres, c’est votre mystère que l’on dépose sur la table du Seigneur. C’est votre mystère que vous recevez. » (Sermon 272)

L’Eucharistie, loin d’être une dévotion à part, accomplit dans la chair ce que le mariage ne fait qu’annoncer : une communion totale, irrévocable, éternelle.


IV. L’Église, chair du Christ et Épouse transfigurée


Le sommet du mystère de la « chair une » s’accomplit non seulement dans l’Eucharistie, mais dans la réalité même de l’Église, née du côté du Christ et destinée à partager sa vie éternelle. Ce que la Genèse annonçait sous la forme d’une union nuptiale, ce que l’Eucharistie rend présent dans le sacrement, l’Église le devient dans sa nature même : elle est l’Épouse du Christ, formée de sa chair et animée de son Esprit. La figure devient réalité, le symbole devient corps.


Une nouvelle Ève, tirée du côté du Nouvel Adam

Les Pères de l’Église ont souvent souligné le lien entre Genèse 2 et Jean 19. De même qu’Ève fut tirée d’Adam endormi, l’Église naît du côté transpercé du Christ endormi sur la Croix. Saint Augustin l’explique ainsi :

« Pendant le sommeil du second Adam, la lance a ouvert son côté, et en a fait sortir l’Épouse. »​

L’eau et le sang jaillis de cette plaie (Jn 19,34) sont les symboles du baptême et de l’Eucharistie. C’est à travers eux que l’Église est engendrée — non plus par l’union sexuelle, mais par une union mystique, sacrificielle, féconde d’en-haut. L’épouse n’est plus formée de chair au sens biologique, mais de chair transfigurée, sanctifiée, nourrie par la chair du Christ.


Une union sans domination, dans la liberté de l’amour

Dans cette Église-épouse, aucune domination, aucun désir de possession. Le Christ ne prend pas : il se donne. Il ne contraint pas : il attire. Et l’Épouse ne s’asservit pas : elle consent librement à l’amour.

« Le Christ a aimé l’Église : il s’est livré pour elle, afin de la sanctifier. » (Ep 5,25-26)

Ce n’est donc pas une relation hiérarchique, ni une fusion mystique abstraite, mais une communion d’amour où l’un donne la vie à l’autre. Le Christ se donne, l’Église reçoit ; elle s’offre en retour. Ainsi naît une réciprocité qui fait de cette union la véritable chair une, non par le sang des hommes, mais par le sang de Dieu.


L’union eucharistique fait de l’Église un seul corps

L’Église n’est pas un simple corps symbolique, ni une communauté d’idées : elle est le Corps réel du Christ. Et ce corps est vivant, parce qu’il est nourri par le Corps eucharistique. La chair une n’est pas seulement un fait d’amour humain : elle devient principe ecclésial.

« Vous êtes le corps du Christ, et membres chacun pour sa part. » (1 Co 12,27)

Saint Thomas affirme clairement que cette union est indissoluble :

« Jamais le Christ ne se séparera de son Église […], car leur union est spirituelle et éternelle. »

Cette union, commencée dans le temps, culminera dans la gloire : l’Église glorifiée, transfigurée, unie au Christ comme Épouse parfaite, sans tache ni ride (Ep 5,27), dans l’éternité de l’Agneau.


Conclusion : Le Christ, clef des Écritures et lumière de la « chair une »


Le récit de Genèse 2,24 — « et les deux deviendront une seule chair » — appartient à ce que l’on pourrait appeler un Écrit « fermé », selon l’expression traditionnelle des Pères : un texte dont le sens demeure voilé tant qu’il n’est pas illuminé par l’Évangile. Car l’Ancien Testament, dans sa richesse symbolique, annonce, préfigure, et attend son accomplissement. Il parle vrai, mais à demi-mot. Et ce n’est que dans la lumière du Christ que cette parole se révèle pleinement.

« Alors il leur ouvrit l’intelligence à la compréhension des Écritures. » (Lc 24,45)

Ainsi, ce que la Genèse dit de l’union des époux ne se comprend vraiment que dans la lumière du mystère pascal. L’union « en une seule chair » n’est pas d’abord une réalité sexuelle ou même simplement conjugale : elle est, à la lumière du Christ, un archétype de communion, une prophétie d’alliance, une ébauche du mystère de l’Église née de la croix.

Lire ce passage uniquement dans un cadre conjugal ou sexuel, ou dans l’opposition paulinienne caricaturée entre chair et esprit, serait réduire sa portée. L’union entre l’homme et la femme ne peut être comprise dans une logique dualiste — comme si la chair s’opposait à l’âme, ou la sexualité à la spiritualité. Bien au contraire, le Christ révèle que la chair est appelée à devenir temple, que l’amour humain est capable de sacrement, et que ce qui semblait terrestre peut être signe du céleste.

« N’avez-vous pas lu que le Créateur, dès l’origine, les fit homme et femme et dit : C’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère et s’attachera à sa femme, et les deux ne feront qu’une seule chair ? Ainsi ils ne sont plus deux, mais une seule chair. Que l’homme donc ne sépare pas ce que Dieu a uni. » (Mt 19,4–6)

Ce passage est capital, car il donne à Genèse 2,24 une autorité divine directe : Jésus identifie la parole de Genèse comme étant parole de Dieu, non simplement un récit anthropologique. Et il affirme que cette union en une seule chair n’est pas seulement naturelle ou sociale : elle est un acte de Dieu. Ce n’est donc pas une convention, mais une réalité sacrée, indissoluble, et orientée vers l’unité divine.


Saint Thomas d’Aquin reprend ce point en affirmant que la loi divine ajoute à la loi naturelle une lumière surnaturelle, celle du mystère nuptial entre le Christ et l’Église. Il écrit :

« Puisque l’instinct naturel appelle une cohabitation unique de l’homme avec la femme […] la loi divine y ajoute une raison surnaturelle puisée dans le symbolisme de l’union indissoluble du Christ avec l’Église »​

Ces paroles du Christ, prononcées dans le contexte d’un enseignement sur le mariage, résonnent bien au-delà du cadre juridique ou conjugal. Elles affirment une vérité ontologique : l’union véritable n’est pas œuvre humaine, mais divine. Si l’homme et la femme deviennent « une seule chair », c’est que Dieu lui-même les unit dans une réalité qui dépasse le visible. Et cette union ne trouve son sens ultime que lorsqu’elle devient figure de l’union indissoluble du Christ et de l’Église. Là encore, ce que Dieu a uni — le ciel et la terre, la chair et l’Esprit, l’homme et la divinité — nul ne peut plus le séparer. Toute lecture de la Genèse qui se limite à la sexualité ou à la sociologie passe à côté de cette profondeur. C’est Dieu qui unit. Et il le fait dans un dessein de grâce, d’alliance, de communion. L’homme et la femme ne sont donc pas seulement les protagonistes d’un contrat terrestre, mais les porteurs d’un mystère divin que le Christ accomplit et révèle dans sa propre chair offerte.


Dans cette perspective, les époux, unis dans la fidélité, deviennent une parabole vivante du mystère divin. Leur chair devient langage. Leur union devient icône. Mais cette icône n’est ni fermée sur elle-même, ni réduite à sa seule matérialité : elle est ouverte vers l’Eucharistie, vers cette autre union où le Christ donne son corps, sa chair, pour que nous devenions un avec lui.

« Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi en lui. » (Jn 6,56)

Ainsi le véritable accomplissement de la parole « ils deviendront une seule chair » ne se trouve pas dans l’acte conjugal lui-même, mais dans la communion entre le Christ et l’Église, dans l’union mystique fondée sur le don, la fidélité et l’amour sacrificiel. C’est cette lecture christologique qui permet de déployer toute la profondeur du texte de la Genèse, non comme une loi biologique, mais comme une prophétie eucharistique.


Le Christ, Verbe incarné, est la clef des Écritures : sans lui, la Genèse reste fermée, l’union reste charnelle, le mystère reste invisible. Mais en lui, tout devient lisible, lumineux, orienté vers la gloire. La « chair une » devient chair transfigurée, Église aimée, humanité glorifiée. Ce n’est plus seulement un homme et une femme :


C’est l’humanité toute entière unie à Dieu, dans la chair offerte de l’Agneau.

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