La vérité sur l’histoire cachée de Jésus : ce que les évangiles gnostiques ne disent pas
- Cyprien.L
- 14 avr.
- 17 min de lecture
« La connaissance enfle, mais l’amour édifie » (1 Co 8,1)

Introduction
Cette parole de saint Paul suffit à poser la distinction essentielle entre la révélation chrétienne et la gnose : le salut n’est pas réservé à une élite éclairée, mais offert à tous. Or, l'Évangile de Philippe — et bien d’autres textes dits « apocryphes » — propose une autre voie, séduisante, mais fondamentalement étrangère à la foi chrétienne.
Dans les dernières décennies, les évangiles gnostiques connaissent un regain de notoriété. Les raisons sont multiples :
Le succès médiatique d’œuvres comme Da Vinci Code, qui présente Marie-Madeleine comme l’épouse cachée de Jésus et les Évangiles canoniques comme des choix politiques imposés.
L’influence des milieux New Age, qui valorisent la connaissance intérieure, la spiritualité individualiste, les secrets anciens.
La fascination pour les sociétés secrètes (Templiers, Rose-Croix, etc.), qui cultivent l’idée de vérités occultées par l’Église.
Cette fascination s’ancre dans une critique implicite : le christianisme traditionnel aurait trahi la profondeur du message de Jésus pour imposer une religion de contrôle moral, institutionnel, dogmatique.
Le succès des textes gnostiques s'explique en partie par l’ignorance du catéchisme. Beaucoup de fidèles n’ont jamais lu la Bible canoniquement reconnue, ne connaissent pas les conciles, ignorent les écrits des Pères de l’Église. À leurs yeux :
Le canon biblique paraît arbitraire.
Les conciles anciens sont perçus comme politiques plus que théologiques.
Les dogmes semblent rigides et éloignés de la vie intérieure.
Face à cela, les évangiles gnostiques apparaissent comme une alternative « plus libre », « plus profonde », « plus féminine » — en oubliant qu’ils sont pourtant souvent bien plus dualistes et méprisants envers le corps que ne le fut jamais l’Église catholique.
L’Évangile de Philippe proclame :
« Ceux qui disent qu’ils mourront d’abord puis qu’ils ressusciteront sont dans l’erreur. S’ils ne reçoivent pas la résurrection d’abord tandis qu’ils sont vivants, ils ne recevront rien lorsqu’ils mourront. »
Une phrase qui, sortie de son contexte, peut séduire des lecteurs modernes attirés par la spiritualité intérieure. Mais cette affirmation contredit les fondements de la foi chrétienne : la résurrection des morts, le corps glorifié, le salut universel.
La gnose élitiste prône une connaissance réservée à quelques « parfaits » initiés, là où l’Évangile s’adresse d’abord aux pauvres, aux simples, aux pécheurs. L’universalité du salut passe par la foi, l’amour, et non par une connaissance cachée.
Saint Thomas d’Aquin réfute clairement l’idée que la résurrection soit purement intérieure, affirmant :
« Affirmer une résurrection spirituelle en niant la résurrection des corps, c’est donc aller contre la vérité de la foi. »
Face à ces séductions modernes, l’Église doit redire clairement son enseignement. Non pas pour exclure, mais pour sauver :
Le Christ est l’unique chemin vers le Père (Jn 14,6).
L’Église est son Corps visible, transmis par les Apôtres.
Hors de cette transmission vivante, il n’y a ni sacrement, ni vérité garantie.
Les gnostiques prétendent « sauver » sans la croix, sans l’Église, sans les sacrements : ils proposent un salut de soi par soi, là où le chrétien dit : « Ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi » (Ga 2,20).
L’affirmation « Hors de l’Église point de salut » ne signifie pas l’exclusion de ceux qui, sans faute de leur part, ignorent le Christ — mais elle rappelle que tout salut passe, d’une manière visible ou invisible, par l’Église et le Christ qu’elle annonce.
Ce n’est pas l’Église qui a peur des textes apocryphes, c’est l’orgueil humain qui préfère des mystères inventés à la folie de la croix. Le vrai trésor caché, ce n’est pas un secret ancien redécouvert dans le désert, c’est le mystère révélé aux petits, aux pauvres de cœur, aux pécheurs pardonnés.
Et c’est ce mystère, humble et universel, que l’Église garde depuis deux mille ans, en refusant que la Vérité soit transformée en élitisme mystique. Car ce n’est pas la connaissance qui sauve — c’est l’amour.
Une résurgence contemporaine inquiétante des évangiles gnostiques
Le regain d’intérêt pour les évangiles gnostiques — et tout particulièrement pour l’Évangile de Philippe, Thomas et Marie-Madeleine — ne doit rien au hasard. Il est le fruit d’un phénomène culturel profond, à la croisée des ruptures spirituelles modernes, des dérives ésotériques, et de la méconnaissance du christianisme historique. Nous vivons une époque où l’ancienne soif de transcendance, souvent refoulée par le matérialisme, cherche à se frayer un chemin par des voies détournées.
Trois facteurs principaux expliquent cette fascination :
Le mythe d’un secret caché par l’Église
Depuis les années 1980, le discours selon lequel « l’Église aurait étouffé la vérité sur Jésus » a fleuri dans les milieux populaires, universitaires alternatifs, et surtout médiatiques. La parution du Da Vinci Code de Dan Brown a agi comme un catalyseur. Sous couvert de fiction, le roman suggère que Jésus aurait eu une relation charnelle avec Marie-Madeleine, que l’Église l’aurait volontairement cachée, et que les évangiles apocryphes porteraient une vérité plus « humaine », plus « profonde », voire plus « féminine » sur le Nazaréen.
Cette idée — séduisante pour notre époque friande de déconstruction — repose sur un amalgame : confondre les évangiles canoniques, fruits d’un discernement rigoureux au sein des premières communautés chrétiennes, avec les écrits tardifs et ésotériques produits dans des cercles gnostiques souvent en rupture avec la foi apostolique.
Or, ces textes n’ont jamais été « interdits » parce qu’ils dérangeaient, mais tout simplement écartés parce qu’ils n’étaient pas fidèles à la foi transmise par les témoins directs de Jésus.
L’influence du New Age et des spiritualités individuelles
Les évangiles gnostiques correspondent parfaitement à une mentalité contemporaine : celle du spirituel sans religion, du chemin intérieur personnalisé, de la vérité que chacun construit pour soi. Le New Age, dans ses nombreuses déclinaisons, s’est emparé de ces textes comme d’une source ancienne venant légitimer sa quête d’un salut désincarné, souvent anti-ecclésial.
Là où le christianisme affirme que le salut passe par une histoire, un peuple, une Croix, un baptême et une Église, la gnose propose un salut individuel par la connaissance. Ce modèle plaît à une époque qui valorise l’intuition personnelle sur la transmission, le ressenti sur la foi, l’expérience privée sur la Révélation publique.
C’est une religion sans dogme, sans morale objective, sans Croix — et donc sans rédemption.
La fascination pour les sociétés secrètes et l’élite spirituelle
Dans un monde saturé d’informations, le mystère attire. L’idée qu’il existerait un savoir caché, transmis dans l’ombre par des initiés, a de quoi séduire ceux qui se méfient des institutions. C’est ainsi que certains textes gnostiques ont été récupérés par des mouvements ésotériques, des courants pseudo-templiers, des loges occultes ou des spiritualités néo-paganisantes.
Le mythe de la Vérité perdue, gardée par une élite, rejoint les fantasmes de nombreuses sociétés secrètes, du Prieuré de Sion aux Illuminés, en passant par certaines lectures dévoyées des Cathares ou des premiers chrétiens d’Égypte. Enfin n’oublions pas que ce regain d’intérêt coïncide avec une crise spirituelle profonde. Le vide laissé par la sécularisation appelle à être comblé. Faute d’une expérience personnelle du Christ vivant, certains se tournent vers des formes mystiques alternatives, croyant y trouver une transcendance plus adaptée à notre époque. Mais ces chemins, sous couvert d’élévation, débouchent souvent sur une perte de la personne, une dilution de l’Incarnation, et une spiritualité désincarnée où l’amour est remplacé par un savoir ésotérique réservé à quelques-uns.
Mais cette fascination repose sur un contresens tragique : la Révélation chrétienne n’a jamais été réservée à une élite. Bien au contraire, Jésus affirme :
« Je te bénis, Père, d’avoir caché cela aux sages et aux intelligents, et de l’avoir révélé aux tout-petits » (Mt 11,25).
C’est ici que la fracture se creuse : la gnose s’adresse à ceux qui « savent », l’Évangile s’adresse à ceux qui se savent pauvres.
La cosmogonie gnostique : une illusion mystique au service d’un élitisme spirituel dangereux
Derrière les accents poétiques et spirituels des textes comme l’Évangile de Philippe ou l’Évangile de Marie-Madeleine se cache une cosmogonie radicalement étrangère à l’Évangile. Là où la foi chrétienne repose sur la bonté de la création, l’unité de l’histoire du salut, et l’universalité du salut offert à tous, la gnose gnostique propose un récit du monde profondément dualiste, désincarné, et fermé aux pécheurs ordinaires.
Une vision du monde profondément anti-créationnelle
Le christianisme proclame : « Dieu vit tout ce qu’il avait fait : cela était très bon » (Gn 1,31). L’Incarnation du Fils en Jésus-Christ est la confirmation définitive de cette bonté de la création.
À l’inverse, le récit gnostique voit le monde comme une erreur, une chute cosmique. Selon les écoles gnostiques (surtout valentiniennes), un dieu inférieur – le démiurge – a créé le monde matériel à la suite d’une transgression cosmique, souvent attribuée à une figure féminine comme Sophia. Le monde sensible serait donc un piège, et le salut, une évasion hors de ce monde.
Dans l’Évangile de Marie-Madeleine, cette idée est manifeste. Lorsqu’elle parle de la chute de l’Âme, elle décrit son passage à travers des « puissances », où chacune la tente, l’accuse, ou tente de la retenir. L’Âme, illuminée, répond par la gnose et se libère en disant :
« Je n’ai vu en toi aucun destructeur. Tu n’as pas reconnu ce que tu étais, ni moi en toi. » (Évangile de Marie, 8,19–20)
Cette conception revient à nier la valeur de la condition humaine. Elle transforme le salut en fuite hors du réel, non en rédemption du réel. Or, c’est précisément là que l’Église catholique s’y oppose : la foi ne propose pas l’évasion, mais la transfiguration.
Une anthropologie destructrice : tous les humains n’ont pas d’âme
L’une des pires dérives de la gnose est son anthropologie inégalitaire. Dans plusieurs textes (Philippe, Thomas, Pistis Sophia…), les humains sont divisés en trois catégories :
Les hyliques, totalement charnels, sans âme immortelle : promis à la perdition.
Les psychiques, croyants ordinaires, mais sans gnose : voués à un salut imparfait.
Les pneumatiques, les "éveillés", les initiés : seuls capables du salut plénier.
C’est la doctrine des « semences de lumière », présente dans l’Évangile de Philippe :
« Certains naissent naturellement, d’autres par l’esprit, et d’autres encore par un mystère. » (Év. Philippe, logion 64)
Le message est clair : certains humains ne sont même pas appelés à être sauvés. Ils sont d’une essence inférieure. Cette vision — en totale contradiction avec le cœur de l’Évangile — nie la vocation universelle au salut, affirmée dès saint Paul :
« Dieu veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité. » (1 Tm 2,4)
Loin de l’humanisme biblique, la gnose introduit une sélection spirituelle. Certains sont « d’en bas », d’autres « d’en haut ». La croix ne vaut pas pour tous. Il n’y a pas de place pour les faibles, les ignorants, les pécheurs — seulement pour les illuminés.
Des germes de dérives sectaires et déshumanisantes
Cette cosmogonie et cette anthropologie posent un risque spirituel majeur. Car en exaltant l’élite, en niant l’unité de la nature humaine, la gnose devient un terreau propice :
aux dérives sectaires, où seuls les « initiés » ont accès à la vérité,
aux abus de pouvoir spirituel, où l’on justifie l’exploitation de l’ignorant comme « instrument karmique » ou « corps sans âme »,
à une vision froide de la charité, où l’on ne doit rien à ceux qui ne sont pas « éveillés ».
C’est tout le contraire de l’esprit de l’Évangile. Le Christ pardonne à la prostituée, touche le lépreux, meurt avec les criminels. Il ne distingue pas entre « âmes de lumière » et « masses charnelles », mais appelle chacun à la conversion et à la vie.
Certes l’Église a connu ses propres dérives : abus de pouvoir, cléricalisme, inquisition. Mais ces fautes sont identifiables, condamnables, réformables, parce que l’Église s’appuie sur des textes et des dogmes publics, universels, exposés à la critique, et soumis à la cohérence théologique qui ne propose pas du tout la même économie du salut que le gnosticisme.
Rien de tel dans les écrits gnostiques, où l’« intérieur » prévaut sur la vérité, où le fantasme occulte la foi, et où toute contestation est accusée d’être « profane ».
Une lumière trompeuse : la pente de l’initiation vers la division
Ce qui rend cette anthropologie gnostique encore plus redoutable, c’est le piège subtil et séduisant qu’elle tend dès l’origine : faire croire à l’initié qu’il fait partie d’une élite spirituelle. Le gnosticisme flatte l’égo sous couvert de connaissance mystique. On parle d’« éveillés », de « porteurs de lumière », de ceux qui « savent », en opposition aux masses ignorantes et « profanes » — voire, dans certains courants plus radicaux, aux êtres sans âme. Dans les textes plus extrêmes ou leurs prolongements contemporains, certains humains sont appelés « golems », « coquilles vides », ou « porteurs d’ombre », c’est-à-dire irrécupérables, nés d’un principe inférieur ou simplement destinés à servir de décor au salut des autres.
Sous cette rhétorique de la profondeur intérieure se cache en réalité un égocentrisme spirituel redoutable. L’initié est constamment invité à se croire plus pur, plus proche de « l’origine », plus digne d’un retour à la lumière divine. Et même lorsque ce système prône une forme d’humilité, il s’agit souvent d’un vernis ésotérique : une humilité de surface, conceptuelle, qui masque une certitude intérieure d’être parmi les élus, ceux qui ont « vu » ce que les autres ne verront jamais. L’humilité devient alors un costume raffiné que l’ego revêt avec complaisance. Et quand elle n’est même plus prônée, l’orgueil se libère pleinement, et l’on assiste à des dérives explicitement lucifériennes — où le but n’est plus la communion, mais la montée vers une forme de divin personnel détaché de toute dépendance.
Il s’agit là d’une pente glissante, et de plus en plus raide : car une fois qu’on accepte cette division des êtres humains en catégories spirituelles essentielles, le regard porté sur les autres change. Ceux qui ne comprennent pas, qui n’adhèrent pas, ou qui ne sont pas « éveillés », deviennent des obstacles — ou pis : des ennemis ontologiquement opposés à la lumière. Il ne s’agit plus de pécheurs à sauver, mais d’ombres à éviter. C’est l’esprit même de l’Antichrist : non pas une persécution directe, mais une inversion complète de la charité.
Car ce qui est proclamé comme lumière devient mépris déguisé, séparation, jugement.
Sans sombrer dans la paranoïa ou la chasse aux sorcières, il faut oser le dire avec clarté : nous sommes ici face à une pensée profondément diabolique, au sens propre du terme — diaballein, en grec, signifie « diviser ». Le gnosticisme divise le monde, fractionne l’humanité selon des essences invisibles et hiérarchisées, oppose les âmes, détruit l’universalité du salut. Il transforme la foi en privilège, la connaissance en muraille, et le prochain en menace. C’est là l’esprit de Satan, le menteur depuis le commencement : celui qui, sous prétexte d’offrir une élévation, divise, accuse, classe, et finalement devore ceux qu’il séduit par la promesse d’une lumière séparée de l’amour.
Hors de l’Église point de salut : vérité, miséricorde et universalité
« Vous faites les œuvres de votre père. » Ils lui dirent : « Nous ne sommes pas nés de la prostitution ; nous n’avons qu’un seul Père : Dieu. »Jésus leur répondit : « Si Dieu était votre Père, vous m’aimeriez [...]. Vous avez pour père le diable, et vous voulez accomplir les désirs de votre père. Il a été homicide dès le commencement […] il est menteur et père du mensonge.. » - (Jean 8,41-44)
Face aux discours spirituels séduisants des gnostiques, Jésus ne répond pas par un appel à une simple morale ou à une sensibilité religieuse plus douce : il révèle l’origine véritable de toute division spirituelle. La gnose, sous couvert de lumière, s’enracine dans le refus d’accueillir le Christ, dans la volonté de connaître sans aimer, dans le désir d’être « comme des dieux » sans passer par la croix.
Les interlocuteurs de Jésus dans Jean 8 se croyaient enfants d’Abraham, « fils du Très-Haut ». Mais le Christ leur dit qu’ils sont nés de l’adultère, non pas d’un adultère charnel, mais d’un adultère spirituel — une infidélité dès l’origine à la Parole de Dieu. Et cette infidélité les a conduits à vouloir « faire mourir celui qui leur dit la vérité ». La gnose n’est pas une erreur anodine : c’est un refus structurel de l’Incarnation. C’est, comme le dit Jésus, marcher selon le désir du père du mensonge.
Mais à cette origine tordue, l’Église oppose une filiation nouvelle, offerte à tous dans la foi et le baptême. L’Évangile ne classe pas les âmes : il les appelle. Il ne sépare pas ceux qui « savent » et ceux qui « ignorent » : il annonce à tous la vérité qui rend libre. Et cette vérité a un lieu : le Corps du Christ, qui est l’Église.
« Extra Ecclesiam nulla salus » : vérité dure ou parole de miséricorde ?
L’affirmation « Hors de l’Église point de salut », issue notamment de saint Cyprien de Carthage (De catholicae ecclesiae unitate, v. 251 ap. J.-C.), n’est pas une sentence de condamnation. Elle est d’abord un cri de réalisme spirituel. Car si le Christ est le chemin, la vérité, la vie (Jn 14,6), alors nul ne peut accéder au Père en dehors de lui. Et si l’Église est son Corps — prolongement vivant de son Incarnation — alors nul ne peut entrer dans la vie sans être d’une manière ou d’une autre greffé à ce Corps.
Cela ne signifie pas que ceux qui n’ont pas connu l’Église sont damnés : le concile Vatican II (notamment Lumen Gentium §16) enseigne clairement que tous ceux qui cherchent sincèrement la vérité et font la volonté de Dieu selon leur conscience peuvent être sauvés, car nul ne se sauve sans le Christ, même s’il n’en porte pas encore consciemment le nom.
Mais cette vérité ne relativise pas pour autant la mission de l’Église : elle est l’Arche du salut, offerte à tous, non pas pour enfermer, mais pour ouvrir. Et c’est en cela que la gnose s’oppose frontalement à l’Église : elle nie le besoin d’un Corps, elle nie l’universalité de la grâce, elle refuse la Croix comme chemin. Elle divise les âmes, là où l’Église les rassemble.
Elle veut sauver par le savoir, là où le Christ sauve par sa Vie qu'il donne à tous et pour tous.
L’Église : unique et blessée, mais transparente à la miséricorde
Oui l’église en tant qu'institution temporelle a péché. Elle a parfois blessé au lieu de guérir. Elle a produit des clercs et laïques orgueilleux, des systèmes injustes, des abus de pouvoir. Mais elle ne se fonde pas sur la vertu de ses membres, ni sur l’intelligence de ses mystiques. Elle est sainte parce que son fondateur est Saint, non parce que ses fidèles le sont toujours. Et contrairement à la gnose, elle n’a rien à cacher. Elle proclame sa foi en pleine lumière, ses textes sont publics, ses dogmes sont vérifiables, et surtout : sa porte reste ouverte.
On ne devient pas chrétien par degré, par mérite ou par prédisposition spirituelle. On entre dans l’Église comme dans une maison de miséricorde. Et c’est là la grande différence : le Christ ne vient pas chercher ceux qui sont déjà "pneumatiques" — il vient relever les pécheurs.
« Ce ne sont pas les bien-portants qui ont besoin du médecin, mais les malades ; je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs. »(Marc 2,17)
Cette parole du Christ ne doit jamais être réduite à une simple opposition dualiste entre « bons » et « mauvais ». Car en vérité, qui est juste ? Qui peut dire : « Moi, je n’ai pas besoin de guérison » ? Le Christ lui-même interroge pour faire réaliser que lui seul, qui est Dieu, peu sauver : « Pourquoi m’appelles-tu bon ? Nul n’est bon que Dieu seul » (Luc 18,19). La justice, dans l’Évangile, n’est pas un état atteint, c’est une blessure reconnue. Celui qui se sait malade peut accueillir le médecin. Celui qui se croit en bonne santé, même s’il est mourant, refusera le remède.
Et c’est là, précisément, que se situe le piège fatal de la gnose : elle donne à l’homme l’illusion qu’il est déjà éveillé, qu’il est d’essence supérieure, qu’il n’est pas malade — ou que la maladie n’est qu’un voile mental qu’il peut dissiper seul. Ce mensonge est le plan de Satan : faire croire à l’homme qu’il peut se sauver sans grâce, qu’il peut s’élever par lui-même, qu’il n’a pas besoin d’être racheté, ni pardonné. Là où le Christ tend la main au mendiant, la gnose donne un miroir à celui qui se croit déjà lumineux.
Mais seul l’homme qui se sait pécheur peut devenir saint par la grâce de Dieu. Seul celui qui s’incline vers la croix peut être relevé. Tout le reste est mensonge — et le mensonge, ici, est de se croire Dieu sans passer par le Fils.
Redire aujourd’hui que hors de l’Église point de salut, ce n’est pas exclure. C’est avertir, appeler, rappeler que la vérité n’est pas un parcours personnel dans le labyrinthe de la gnose, mais une Personne offerte à tous.
Conclusion – Le miroir inversé du salut
Or il est profondément ironique de constater que ceux qui accusent l’Église d’avoir caché la vérité sur l’homme et le Christ sont souvent séduits par des doctrines qui, à bien y regarder, nièrent l’homme plus radicalement que tout autre discours religieux. L’idéal gnostique — mais aussi ésotérique, New Age, et même certains courants orientaux contaminés par ces idées — tend invariablement vers une dématérialisation progressive de l’existence. Le corps, dans ces systèmes, n’est plus un lieu de grâce ou d’élection, mais au mieux un véhicule temporaire, au pire une prison, une illusion, un obstacle à franchir pour rejoindre le "vrai soi", le "plan supérieur".
Le lien entre ces visions et l’antique jalousie de Satan prend ici tout son sens. Car que dit vraiment la Révélation sur l’homme ? Elle ne le présente pas comme un simple être rationnel ou animal doué de conscience. Elle affirme quelque chose d’inouï : que Dieu s’est fait chair, que l’homme a été créé pour participer à la nature divine (cf. 2 Pierre 1,4), et qu’au terme de son chemin, ce n’est pas l’âme seule qui sera sauvée, mais le corps glorifié.
Dans cette lumière, la jalousie des anges déchus — si elle peut être ainsi nommée — ne renvoie pas à une émotion humaine. Dans cette lumière, la jalousie des anges déchus — si elle peut être ainsi nommée — ne renvoie pas à une émotion humaine. Comme le développe Franck Dubois (religieux dominicain français) dans son ouvrage Attention, chute d’ange, un ange ne ressent pas la jalousie comme un homme : il ne possède pas d’affects sensibles. Son intellection est immédiate, sans détour, sa volonté fixe une fois pour toutes. La chute des anges est donc un choix lucide, spirituel, non une réaction passionnelle. Ce que les Pères de l’Église ont toujours suggéré, et que Dubois réarticule avec clarté, c’est que cette révolte spirituelle des anges apostats viendrait de ce qu’ils ont vu dans l’homme — cette créature de chair — une élection supérieure à la leur : un être fait pour s’unir à Dieu non seulement dans la contemplation, mais dans l’être même, par le Verbe fait chair.
Et que promet le Christ à l’homme fidèle ? Non l’extinction, non la fusion, non le dépassement de soi dans un "tout impersonnel", mais la transfiguration du corps. Déjà sur le mont Thabor, Jésus
« fut transfiguré devant eux ; son visage devint brillant comme le soleil, et ses vêtements, blancs comme la lumière » (Matthieu 17,2).
Et Paul proclame :
« Il transformera notre corps de misère pour le conformer à son corps de gloire » (Philippiens 3,21)
C’est cela que le Démon hait. Et il est alors frappant de constater que tous les systèmes occultes, gnostiques, ou même mystico-orientaux influencés par la gnose, mènent à une même négation du corps, parfois sous des apparences nobles (ascèse, méditation), mais souvent dans une logique de mépris ou d’abandon pur et simple. L’idéal devient de s’extraire du corps, de se libérer de l’incarnation.
À qui profite ce crime ? Si le corps est appelé à la gloire, s’il est le temple de l’Esprit (1 Co 6,19), alors nier le corps, c’est voler à l’homme son héritage. Et celui qui, depuis le commencement, cherche à ravir à l’homme ce que Dieu lui a promis — le Royaume, la filiation, la gloire — c’est précisément le menteur et l’homicide de Jean 8,44.
Ce glissement n’est donc pas une coïncidence. Il est une constante, une trace, une signature spirituelle. Car si l’Église proclame que le salut passe par la chair — « le Verbe s’est fait chair » (Jn 1,14) — alors toute doctrine qui dissout le corps dans l’illusion, qui nie sa vocation divine, s’inscrit contre le Christ. Non pas de manière extérieure, mais dans une imitation inversée, comme l’ombre d’un sacrement à l’envers.
Et c’est ici que revient avec force la parole du Christ, trop souvent négligée par ceux qui se croient déjà sauvés :
« Les disciples, entendant cela, furent profondément bouleversés, et ils dirent : "Qui donc peut être sauvé ?" Jésus les regarda et dit : "Pour les hommes, c’est impossible, mais pour Dieu tout est possible." — Matthieu 19, 25-26, traduction liturgique de la Bible.
Cette parole du Christ, si elle affirme l’impossibilité humaine du salut par les seules forces naturelles, n’est en rien une invitation à la passivité. Elle est un appel à la foi agissante, à l’humilité active, à la coopération libre avec la grâce. C’est dans cet esprit que saint Ignace de Loyola recommande :
« Agis comme si tout dépendait de toi, en sachant que tout dépend de Dieu. »
Ce n’est pas une contradiction, mais le cœur de la vie chrétienne : la grâce n’annule pas la liberté, elle la suscite, l’illumine, l’accomplit. Ses paroles sont un dévoilement : celui qui ne se sait pas malade ne peut être sauvé. Or la gnose, par sa flatterie spirituelle, empêche l’homme de se reconnaître malade et de ce laisser sauver par Dieu, donc de recevoir le salut. C’est là le cœur du mensonge luciférien, et le plan de Satan : non seulement de faire tomber, mais surtout de faire croire à l’homme qu’il n’a pas besoin d’être relevé, voir pire qu'il est déjà élevé par ses propres forces.
Le Christ, lui, ne flatte pas. Il aime. Il ne classe pas. Il appelle. Il ne divise pas. Il sauve.
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