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Le chrétien n’est pas un sauveur : contre les dérives du zèle religieux

  • Photo du rédacteur: Cyprien.L
    Cyprien.L
  • 27 juil.
  • 10 min de lecture

Dernière mise à jour : 28 juil.

Le chrétien n’est pas un sauveur, mais un témoin du seul Sauveur : le Christ. Ce texte explore les dérives d’un zèle guerrier et rappelle que la vocation chrétienne est d’aimer, non de conquérir. Une méditation profonde sur l’humilité, la croix et la paix intérieure.
Le chrétien n’est pas un sauveur, mais un témoin du seul Sauveur : le Christ. Ce texte explore les dérives d’un zèle guerrier et rappelle que la vocation chrétienne est d’aimer, non de conquérir. Une méditation profonde sur l’humilité, la croix et la paix intérieure.

Introduction – Le monde n’a pas besoin d’un autre sauveur


Le chrétien n’est pas là pour sauver le monde. Il n’a jamais reçu cet ordre. Et d’ailleurs, il ne le pourrait pas.


Car le monde a déjà été sauvé. Une fois. Une fois seulement. Par un seul. Par Celui qui, sans armée, sans programme politique, sans slogan, a porté jusqu’au bout l’Amour — jusque dans la nuit, jusque dans l’abandon. Il n’a pas changé la société romaine. Il n’a pas renversé les institutions. Il est mort.


Et pourtant, il a tout transformé.


Depuis deux mille ans, certains l’oublient. Ils croient bien faire — souvent. Ils veulent « restaurer », « rebâtir », « reprendre le flambeau »… comme si le Christ avait besoin d’être épaulé. Comme si la Croix avait besoin d’une béquille culturelle.

Mais c’est une tentation ancienne. Déjà au désert, on voulait un Messie spectaculaire. Il a refusé.Déjà Pierre a voulu empêcher la Passion. Il a été repris : « Passe derrière moi, Satan ! » (Mt 16,23)


Le chrétien n’est pas un héros, encore moins un sauveur. Il est témoin. Témoin d’un mystère qui le dépasse. D’un amour qui n’a pas besoin d’être défendu, mais vécu.


Car le Royaume n’avance pas par la force, mais par le levain. Pas par des cris, mais par la fidélité.« Vous êtes le sel de la terre » — et le sel ne fait pas de bruit.« Vous êtes la lumière du monde. Une ville située sur une montagne ne peut être cachée. » (Mt 5,13-14)


Mais attention. Cette lumière n’est pas un projecteur. Elle n’éblouit pas, elle éclaire. Elle ne s’impose pas, elle attire. Si elle aveugle, c’est qu’elle est déjà contaminée par la vaine gloire.


Une parole pour ceux qui veulent encore suivre l’Agneau — et non le précéder.


I – Le témoignage chrétien : une vocation, non une mission de conquête


Le Christ n’a conquis personne. Il a aimé.Jusqu’au bout. Et ce « jusqu’au bout » n’a rien d’abstrait : c’est un corps nu, brisé, exposé à la dérision, cloué entre deux brigands. Un échec, diraient certains. Une impuissance. Et pourtant, tout est là.

« Mon Royaume n’est pas de ce monde. »(Jean 18,36)

Ce n’est pas une métaphore. Ce n’est pas une excuse. C’est une ligne de fond. Le Royaume n’est pas une société idéale, une politique inspirée, une réforme morale à imposer. Il est d’un autre ordre. Et parce qu’il est d’un autre ordre, il ne s’impose jamais. Il se propose. Il se donne. Il s’insinue.

« Le Fils de l’homme est venu non pour être servi, mais pour servir, et donner sa vie en rançon pour la multitude. »(Matthieu 20,28)

Voilà le modèle. Non un roi qui s’impose, mais un Dieu qui se penche. Pas un stratège. Pas un bâtisseur d’empire. Un serviteur.


Alors pourquoi vouloir ce que le Christ a refusé ?


Le chrétien est appelé, certes. Mais appelé à être, pas à régner. Il est « sel de la terre », « lumière du monde » — oui. Mais le sel disparaît dans la pâte. Et la lumière ne crie pas son nom. Elle éclaire.

« Ainsi votre lumière brillera devant les hommes : alors, voyant ce que vous faites de bien, ils rendront gloire à votre Père qui est aux cieux. »(Matthieu 5,16)

Pas à vous. À votre Père.


Saint Paul l’a compris, lui qui prêchait un Messie sans pouvoir, un Messie scandale.

« Nous, nous prêchons un Christ crucifié, scandale pour les Juifs et folie pour les païens. »(1 Corinthiens 1,23)

Folie. Scandale. Faiblesse. Mais c’est dans cette faiblesse que le salut est passé.


Le chrétien ne doit pas être plus fort que son Maître. Il n’est pas là pour réussir. Il est là pour être fidèle. Même si rien ne change. Même si tout s’effondre. Même si le monde ne se convertit pas.


Il est là pour suivre. Et parfois, suivre, c’est perdre au yeux du monde, mais pas aux yeux de Dieu.


II – La tentation de l’activisme messianique


Changer le monde. Redresser les mœurs. Rebâtir la chrétienté. Réveiller l’Occident.

Ça sonne bien. Ça donne chaud au cœur. Et parfois même, ça donne l’impression d’être saint. On se sent investi. Choisi. Un peu comme Pierre, tirant son glaive dans le jardin — persuadé de défendre le bon combat.


Mais le Christ, lui, range l’épée.

« Remets ton glaive à sa place ; car tous ceux qui prennent le glaive périront par le glaive. »(Matthieu 26,52)

Il y a, dans cette scène, toute la contradiction de nos élans les plus religieux. Nous voulons le Bien… mais à notre manière. Par la force. Par l’efficacité. Par des lois, des structures, des plans de sauvetage.


Nous nous prenons, sans le dire, pour le bras armé de Dieu. Et l’orgueil se glisse là, masqué par la ferveur.


Mais vouloir changer le monde par ses propres forces, au nom même de Dieu, c’est frôler l’hérésie douce du messianisme humain. C’est penser que le Royaume dépend de nous. C’est oublier que le Salut est déjà donné, qu’il ne s’agit pas de l’imposer, mais de le révéler — par la vie, par la paix, par la fidélité.


Le démon ne pousse pas seulement au péché. Il pousse aussi au zèle sans paix. Il pousse à l’activisme stérile, à la grandeur chrétienne sans croix. À vouloir faire de la foi un projet. Un programme. Une conquête.


Laurent Scupoli, dans Le combat spirituel, met en garde dès le chapitre II :

« Le soldat chrétien, pour marcher sûrement dans la voie du salut et de la perfection, doit éviter, autant qu’il lui est possible, tout ce qui peut troubler la paix de son cœur, et veiller à le maintenir toujours paisible, car c’est là l’instrument par lequel il combat ses ennemis et recueille les fruits de toutes ses vertus. »

Pas de paix ? Pas de fruit.


Et si l’ennemi, parfois, c’était notre propre agitation ? Notre besoin de faire, de montrer, d’agir, alors que l’Esprit, lui, œuvre dans le silence, le discret, l’invisible ?


Jean-Yves Leloup, parlant des moines du Mont Athos, le dit avec justesse :

« Le plus petit acte de pur amour est plus grand que la plus grande des cathédrales. »

Le christianisme n’a pas besoin de croisés — il a besoin de transparents. Pas d’hommes efficaces, mais d’hommes vrais. Pas de conquérants, mais d’habités.


III – Témoigner dans l’humilité : le modèle évangélique


On voudrait parfois que la foi soit éclatante. Qu’elle pèse. Qu’elle s’impose. Mais l’Évangile trace une autre voie. Une voie lente, souterraine, intérieure.


Sainte Thérèse d’Avila ne rêvait pas d’un monde reconquis. Elle parlait d’un château. Un château intérieur. Sept demeures à franchir, non pas vers les autres, mais vers Dieu — en elle.

« Le progrès spirituel consiste à donner à l’hôte intérieur la place qui lui revient. »(Le Château intérieur, Quatrième Demeure)

Elle ne parlait pas de changer le monde, mais de s’y laisser transformer.

« La porte du château, c’est l’oraison. »(Première Demeure)

Et cette porte, personne ne la franchit à la tête d’un cortège. On y entre seul, nu, sans gloire. Ce n’est pas un drapeau qu’on porte — c’est un silence.


Saint Paul, encore une fois, renverse nos instincts de combat :

« Ce n’est pas contre des êtres de chair et de sang que nous avons à lutter, mais contre les Puissances, contre les Autorités, contre les Souverains de ce monde de ténèbres. »(Éphésiens 6,12)

Le vrai combat n’est donc pas contre le siècle, les lois ou les cultures. Le vrai combat est invisible. Il est là où personne ne regarde. Il commence dans l’âme. Et s’il porte du fruit, ce sera sans fanfare.


Les vierges sages, dans la parabole, n’ont rien imposé. Elles ont simplement préparé leur lampe. Veillé. Attendu. Dans l’ombre. Et quand l’époux est arrivé… elles étaient prêtes.

« Alors celles qui étaient prêtes entrèrent avec lui dans la salle des noces, et la porte fut fermée. »(Matthieu 25,10)

Pas de bruit. Pas de cri. Pas d’estrade.


Et Séraphim de Sarov, lui, l’a résumé en une seule phrase. Une phrase simple, tranchante comme l’Évangile :

« Acquiers la paix intérieure, et des milliers autour de toi seront sauvés. »

C’est cela, témoigner. Pas convertir. Pas convaincre. Mais devenir un foyer. Un abri. Un lieu où quelque chose de Dieu peut se reposer.


IV – Contre les croisés modernes : critique des courants activistes ou “guerriers spirituels”


Il y a aujourd’hui, dans certains milieux chrétiens, un goût pour le combat. Un vocabulaire de guerre. Une esthétique du bras armé. On parle de reconquête, de défense, de rempart. On brandit la croix comme une épée. On rêve d’un christianisme viril, conquérant, bardé de doctrine et de bannière.


Mais ce zèle est parfois une imposture. Une revanche mal digérée sur un monde qu’on ne comprend plus. Une identité blessée, qui se déguise en fidélité.


Car au fond, il ne s’agit plus de suivre le Christ, mais de sauver une certaine image de la chrétienté. Une culture. Une civilisation. Une époque rêvée où l’Église trônait — quitte à oublier qu’elle trônait souvent au prix du silence, ou de la compromission.


Le « catholicisme identitaire » n’est pas une hérésie doctrinale. Il est plus subtil. C’est une réduction. Il réduit la foi à une appartenance. L’Évangile à une bannière. Le Christ à un chef.

Mais Jésus n’a jamais été un chef de parti. Il n’a jamais dit : « Reprenez le pouvoir. » Il a dit :

« Prenez votre croix. »


Et il est mort et ainsi a vaincu le Mal, et la mort elle même.


Certains veulent faire du christianisme une culture à imposer —alors qu’il est une présence à recevoir.


Ils rêvent d’un Royaume visible, d’une Église qui dicte, d’un monde ordonné selon leurs valeurs. Mais Dieu n’a pas besoin qu’on l’aide à régner.


Le Père Verlinde, lui-même ancien ésotériste, le rappelle avec sobriété :

« Même en étant pratiquant, on peut se laisser séduire par des forces spirituelles qui ne viennent pas de Dieu. [...] Notre foi n’est pas de la magie. »

Et si l’ennemi, parfois, c’était le zèle lui-même ? Quand il étouffe la paix. Quand il travestit l’amour en certitude. Quand il confond fidélité et rigidité.


Les fruits de l’Esprit-Saint — paix, douceur, patience, bienveillance — sont un bon indicateur intérieur. Si au nom du Christ, je perds mon calme, si je martèle mes idées comme des vérités absolues, si je prétends convaincre tous que ma cause est juste et que ma vision du monde est la seule éclairée, si j’en viens à injurier mes frères ou à accuser l’Église de tous les maux… alors il est temps d’un vrai examen de conscience. Le Christ n’a pas demandé des croisés hurlants, mais des artisans de paix. Et si un laïc se sent soudain investi d’une mission de feu, qu’il se rappelle ceci : il n’est pas un prophète de l’Ancienne Alliance. L’humilité est, ici, la première forme de vérité.


La vraie puissance du christianisme n’est pas dans l’épée. Elle est dans la Croix.


Et la Croix, c’est l’anti-pouvoir. C’est le lieu du dépouillement. C’est là que l’Agneau est vainqueur — non parce qu’il frappe, mais parce qu’il se laisse égorger.



V – Le premier feu : comment l’Église a vraiment changé le monde


Ce ne sont pas les armes qui ont conquis l’Empire. Ni les lois. Ni les manifestes. Ni les projets de société.


C’est le sang.


Celui des martyrs. Celui des anonymes. Celui des femmes, des vieillards, des enfants livrés aux bêtes — parce qu’ils refusaient d’adorer l’empereur, ou de renier le Nom.


Ignace d’Antioche, enchaîné, écrivait aux Romains :

« Laissez-moi devenir la pâture des bêtes ; par elles, je pourrai parvenir à Dieu. Je suis le froment de Dieu, que les dents des bêtes broieront pour qu’il devienne pain pur du Christ. »(Lettre aux Romains, IV)

Aucun appel à la violence. Aucun rêve de renversement. Seulement la fidélité — jusqu’à la mort.


Tertullien, quelques décennies plus tard, constatait ce paradoxe redoutable :

« Le sang des martyrs est une semence de chrétiens. »(Apologétique, chapitre 50)

C’est ainsi que l’Église s’est répandue : non par le glaive, mais par la prière et la manifestation de la foi dans les œuvres. Par la persévérance. Par cette folie pacifique qui ne rendait pas le mal pour le mal, et qui, dans l’arène, priait pour ses bourreaux.


Et cela a retourné le monde.


Les apologètes des premiers siècles n’imploraient pas le pouvoir. Ils témoignaient. Justin, philosophe converti, écrivait à l’empereur Antonin :

« Nous ne voulons pas être flatteurs, ni parler pour notre propre intérêt. Ce que nous disons, c’est la vérité, et la vérité ne peut nuire à personne — sauf à ceux qui refusent de la vivre. »(Première Apologie, II)

Clément d’Alexandrie, dans ses Stromates, allait plus loin : la grandeur du chrétien, disait-il, est d’être « une image vivante de la parole, sans violence, sans ostentation ». Pas une force. Une transparence.


Et pourtant…


Plus tard, quand l’Église a voulu régner, imposer, contrôler, enfermer l’Esprit dans des structures et la grâce dans des stratégies — le feu a faibli. Quand elle a troqué la persécution contre le privilège, le martyre contre l’administration, la confiance contre le pouvoir…ce n’est pas le monde qui a été transformé. C’est la foi qui s’est figée.


Plus l’institution a voulu saisir, plus la Vie s’est échappée entre ses doigts. Plus le chrétien s’est cru garant de l’ordre, moins il a été témoin de la lumière.


Et l’histoire l’atteste : les époques les plus "chrétiennes" furent aussi, souvent, les plus violentes, les plus cléricales, les plus sourdes à l’Évangile. Non parce qu’elles croyaient trop — mais parce qu’elles croyaient au monde plus qu'à Dieu.


Dieu ne se laisse pas gouverner. Il se reçoit. Et se perd dès qu’on cherche à

l’instrumentaliser.


Conclusion – Témoins, pas sauveurs


Le monde n’a pas besoin d’un autre sauveur. Il a déjà été aimé jusqu’au bout. Et ce salut, nul ne peut le répéter. Nul ne peut le compléter.


Le chrétien n’est pas là pour finir l’œuvre du Christ. Il est là pour s’y perdre. Pour y entrer. Pour y consentir. Non en héros. En disciple.


Le monde change peut-être. Ou pas. Ce n’est pas la question.

« Le vent souffle où il veut, tu entends sa voix, mais tu ne sais ni d’où il vient, ni où il va. »(Jean 3,8)

Le chrétien est ce souffle. Invisible. Libre. Désarmé.


Il ne réforme pas les lois — il réveille les cœurs. Il ne combat pas la chair — il lutte contre l’oubli. Il ne bâtit pas d’empire — il creuse un passage.


Et parfois, il tombe. Parfois, il se tait. Parfois, il ne voit rien.


Mais il reste. Il veille. Il aime. Il pardonne. Et cela suffit.


Il est une lampe posée sur une montagne. Pas pour éblouir. Pour éclairer.


Car une lumière qui éblouit ,n’est déjà plus lumière. C’est de la vanité en feu.


Alors il faut rester petit. Présent.


Et s’effacer, pour que la gloire ne soit pas la nôtre.



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