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Quand la vérité devient silence

  • Photo du rédacteur: Cyprien.L
    Cyprien.L
  • 13 avr.
  • 15 min de lecture
Une seule chair, dans la vérité : Le silence du Crucifié contre les idoles du spectaculaire


Cet article explore la vérité du silence de Dieu à travers la Passion du Christ et le lien conjugal, en interrogeant nos attentes dans l’amour : cherchons-nous un miracle ou un visage ? Une méditation théologique et poétique nourrie de l’Évangile, de saint Augustin, de Melman et des paroles du Christ.
Huile sur toile de style baroque représentant Jésus Christ, silencieux et ensanglanté, entouré d’Hérode et de Pilate. Le clair-obscur dramatique met en lumière son regard plein de gravité et de douceur, tandis qu’Hérode, à gauche, et Pilate, à droite, symbolisent le refus d’aimer et l’indécision face à la vérité. Une scène inspirée des maîtres du XVIIe siècle, où la vérité s’offre dans le silence.

« Celui qui n’aime pas n’a pas connu Dieu, car Dieu est amour. » (1 Jean 4, 8)

Introduction


Il est des versets qui résument toute l’Écriture en un seul souffle. Mais l’amour dont parle la Bible n’a rien de générique, de romantique ou d'illusoire : il est une Personne, un appel, une croix. Lorsque Jésus se tait devant Hérode, lorsqu’il ne répond pas à Pilate, son silence n’est pas vide. Il est plein d’amour — mais d’un amour exigeant, incarné, purificateur. Ce silence nous renvoie à notre propre capacité à aimer. Et c’est tout l’enjeu : voulons-nous être consolés… ou transformés ? Voulons-nous des réponses, ou une relation ? Voulons-nous un Dieu qui nous rassure, ou un Dieu qui nous sauve ? Cet article propose de suivre ce fil spirituel pour éclairer notre manière d’aimer aujourd’hui — non seulement Dieu, mais aussi les autres, nos proches, et en particulier dans les relations de couple où le refus d’une parole vraie, ou d’un silence signifiant, révèle souvent une incapacité plus profonde à aimer vraiment


Quand Dieu se tait – Le silence comme lieu d’épreuve et de révélation


« Maltraité, il s’humiliait, il n’ouvrait pas la bouche, comme un agneau conduit à l’abattoir. »(Isaïe 53,7)

Le silence de Dieu est l’une des expériences les plus déstabilisantes de la foi. Il survient souvent dans les heures sombres, là où l’homme, acculé par l’angoisse ou la souffrance, crie vers le ciel et n’entend pour toute réponse que le mutisme d’en haut. Ce silence peut sembler insoutenable. Il l’est parfois. Mais il n’est jamais vide. Il est, au contraire, porteur d’un mystère plus grand que toute parole.


Dans la Passion, Jésus garde le silence devant Hérode, puis devant Pilate. Ce silence n’est ni stratégique, ni lâche, ni résigné. Il est la parole de Dieu à ceux qui ne veulent pas écouter. Car Dieu ne force jamais l’oreille : il parle à celui qui s’ouvre, non à celui qui exige. Ce silence révèle ainsi la vérité du cœur de l’homme. Hérode veut un miracle pour se distraire, non une parole pour se convertir. Pilate pose la bonne question – « Qu’est-ce que la vérité ? » – mais il ne veut pas de réponse. Il sort. Il livre Jésus. L’interrogation reste suspendue, comme un couperet. La Vérité, ce n’est pas une chose que l’on dit, ni une formule à maîtriser, ni même une cohérence logique à établir. La Vérité, c’est Lui. C’est un Tu, non un cela. Jésus ne dit pas simplement la vérité : Il est la Vérité (Jean 14,6). Et c’est pour cela qu’il se tait devant Pilate. Car on ne questionne pas la Vérité comme on interroge une énigme ; on l’accueille, ou on la rejette. Pilate ne veut pas connaître — il veut comprendre sans s’engager. Il cherche une explication, pas une conversion. Alors Jésus ne dit rien. Car la Vérité ne se donne pas à celui qui ne veut pas se donner lui-même.


Ce silence est lourd. Il est comme un miroir tendu à l’homme moderne. Nous aussi, nous demandons sans cesse : « Qu’est-ce que la vérité ? », mais nous fuyons dès qu’elle devient visage, présence, appel. Nous voulons des vérités qui confortent, pas une Vérité qui dérange. Nous cherchons à avoir raison, pas à être transformés. Or la vérité chrétienne ne s’impose pas, elle expose. Elle nous met à nu.


Charles Melman le percevait sous un autre angle, psychanalytique mais profond :

« Ce qui caractérise notre époque, c’est que l’homme n’a plus besoin de vérité pour vivre. Il lui suffit d’un confort de pensée. Il ne veut plus être interpellé dans son être. »

Et c’est précisément là que le silence de Dieu devient jugement : Dieu ne crie pas pour s’imposer. Il se retire pour que l’homme mesure son vide.

Face à Pilate, Jésus n’argumente pas. Il est. Et c’est insoutenable pour le pouvoir. Le gouverneur romain est devant la Vérité faite chair, mais il ne la voit pas. Il est dans l’urgence politique, dans la relativité du compromis. Et parce qu’il n’a pas aimé, il ne peut reconnaître. La vérité ne se pense pas sans amour. Elle ne se contemple que dans une relation. Saint Augustin le disait déjà dans une formule tranchante :

« Ce n’est pas par les mots qu’on atteint la vérité, mais par l’amour. » (Non per verba, sed per amorem Veritas tangitur.) - Formule attribuée à saint Augustin, synthèse de De Trinitate et Confessions

Ainsi le silence du Christ devient la mesure exacte de notre capacité à entrer en relation avec la Vérité. Il ne répond pas à Pilate, car Pilate ne cherche pas Dieu, mais un arrangement. Il ne répond pas à Hérode, car Hérode veut un effet, pas une communion. Mais à Thomas, qui doute dans l’amour, Il montre ses plaies. Car la vérité ne se livre qu’à ceux qui aiment.


Le silence du Christ devient ici la révélation inversée : non plus un dévoilement par les mots, mais une vérité qui transperce sans bruit. Le silence devient jugement, mais aussi miséricorde. Il dit à l’âme : « Je suis là, mais je n’entrerai que si tu ouvres. » Il ne s’impose pas. Il expose. Les grands mystiques ont connu ce silence. Jean de la Croix, dans La nuit obscure, en fait le lieu même de la purification de l’âme. Le silence n’est pas l’absence de Dieu : il est la présence nue, désarmée, décapée, de Celui qui ne se donne qu’à ceux qui l’aiment plus que ses dons. C’est pourquoi Dieu se tait souvent lorsqu’on réclame des preuves. Car réclamer des preuves, c’est vouloir posséder. Or Dieu ne se possède pas. Il se reçoit. Même saint Thomas d’Aquin, dans La Somme contre les Gentils, affirme que certaines vérités de Dieu dépassent toute démonstration : elles ne s’atteignent que par la foi, c’est-à-dire dans le silence de l’intelligence qui adore. Le silence devient alors la voie la plus haute de la connaissance.


Et cette expérience n’est pas réservée aux mystiques d’autrefois. Mère Teresa elle-même, dans ses lettres intimes, confie avoir traversé de longues années de silence intérieur, une nuit spirituelle où Dieu semblait absent. Mais elle écrivait : « Le silence de Dieu me pousse à l’aimer davantage. » Pour elle, le silence n’était pas vide, mais plein de l’amour caché de Dieu. Ce qu’elle vivait, c’était la foi nue, la foi qui aime sans rien sentir, sans retour, sans lumière — une foi qui aime Dieu pour Lui-même.


Mais alors, pourquoi l’apôtre Thomas, lui, a-t-il obtenu ce qu’il demandait ? Pourquoi Jésus lui montre-t-il ses plaies, alors qu’à d’autres il ne répond pas ? La réponse tient à l’intention du cœur. Thomas ne demandait pas une preuve pour éviter de croire, mais parce qu’il désespérait d’aimer encore. Il ne rejetait pas la foi, il pleurait son absence. Sa demande n’était pas une revendication orgueilleuse, mais un cri d’ami blessé. Il ne voulait pas posséder Dieu, mais retrouver le visage de Celui qu’il croyait perdu. Et Jésus, dans sa tendresse, ne méprise jamais les cœurs brisés. Il se donne alors, non comme un spectacle, mais comme une réponse à l’amour blessé : « Avance ton doigt ici. Ne sois plus incrédule, mais croyant. » (Jean 20,27). C’est pourquoi la réponse de Jésus n’est pas une approbation : elle est une concession miséricordieuse. Et elle se termine par une béatitude : « Heureux ceux qui croient sans avoir vu. » Thomas a reçu — mais il a compris que le silence eût été plus grand.


Ce silence de Dieu n’est donc pas un refus. Il est une pédagogie. Il éduque la foi à désirer Dieu pour Lui-même, et non pour ses bienfaits. Il épure la prière, il désarme l’orgueil. Il fait tomber les masques. Il invite à un face-à-face, mais un face-à-face nu, sans spectacle. Il est l’école de l’amour vrai.


Dans nos vies, ce silence se manifeste souvent dans les moments de grande perte : deuil, échec, rupture, maladie. Là où l’on attendait une parole, un signe, une intervention… et il ne vient rien. C’est que Dieu attend que l’amour parle en nous. Il ne répond pas aux cris dictés par la peur, mais aux prières habitées par le don. Son silence nous rend à notre liberté : veux-tu vraiment m’aimer, même si je ne te rassure pas ?


Il en va de même dans notre relation aux autres. Aimer, ce n’est pas seulement parler. C’est aussi savoir se taire au bon moment. C’est attendre, en silence, que l’autre se révèle sans le forcer. C’est écouter ce que son silence dit de lui, de sa douleur, de son mystère. Le silence habité est souvent plus vrai que mille mots.


Le Christ nous apprend à vivre ce silence comme une forme supérieure de parole. Il est la Parole faite chair, et pourtant, dans sa Passion, il choisit de se taire. Il ne répond pas. Il aime. C’est ce silence qui sauve.


Aimer vraiment, c’est aimer quelqu’un — pas “tout le monde”


« Ce que vous avez fait au plus petit d’entre mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait. » (Matthieu 25, 40)

Le Christ ne nous aime pas "en général". Il aime par des gestes, des visages, des noms. Il ne sauve pas l’humanité comme une masse abstraite, mais il donne sa vie pour chacun. Il connaît le fond du cœur, non les statistiques. Voilà pourquoi l’amour chrétien ne se dilue jamais dans des généralités : il est singulier, incarné, radicalement personnel. Il engage la liberté de deux êtres, pas l’adhésion à une idée.


Et cette vérité bouleverse notre temps. Car aujourd’hui, nous vivons dans une époque où l’amour semble dissous dans l’illusion du tout-possible, où l’on confond souvent désir et attachement, reconnaissance et passion, fusion et communion. Comme l’a analysé Charles Melman dans L’homme sans gravité :

« Là où, hier, pour la plupart des patients qui s’adressaient au psychanalyste, il s’agissait de trouver une autre issue que la névrose à la conflictualité inhérente au désir, aujourd’hui, ceux qui trouvent la voie de son cabinet viennent bien souvent lui parler de leurs engluements dans une jouissance en excès. »

C’est-à-dire que le désir n’est plus orienté vers un autre, mais englouti dans une quête de satisfaction immédiate. On aime pour être comblé, pas pour se donner. On cherche un effet, non une communion. On ne cherche plus un visage, mais une émotion.

Aujourd'hui malheureusement beaucoup de couples échouent non par manque d’amour, mais parce que personne n’a jamais appris à aimer un visage plutôt qu’une projection. On aime ce que l’autre fait résonner en nous, non ce qu’il est. Et lorsqu’il cesse de nous procurer ce miroir, on croit que l’amour est fini.


Melman poursuit :

« Nous avons affaire à une mutation qui nous fait passer d’une économie organisée par le refoulement à une économie organisée par l’exhibition de la jouissance. [...] Cela implique des devoirs radicalement nouveaux, des impossibilités, des difficultés et des souffrances différentes. »

Il ne s’agit donc plus d’aimer un autre, mais de s’exhiber à travers lui. Le lien devient surface. Le cœur, un écran. On aime pour être vu, reconnu, validé — non pour construire. Or l’amour chrétien est construction. Il passe par l’incarnation. Par la patience. Par la chair et par le temps.


Aimer, dans l’Évangile, ce n’est pas trouver son compte dans l’autre. C’est vouloir qu’il vive, même au prix de soi. C’est donner du temps, de l’espace, du pardon. C’est choisir quelqu’un, chaque jour, au-delà de l’évidence, au-delà des ressentis.

Le Christ n’a pas aimé l’humanité en restant dans le ciel. Il a pris chair. Il a lavé les pieds. Il a pleuré Lazare. Il a aimé Pierre malgré ses reniements. Aimer, c’est toujours aimer quelqu’un.


Jean de la Croix écrivait dans La Montée du Carmel :

« Pour venir à goûter tout, ne désire goûter quelque chose en rien. Pour venir à savoir tout, ne désire savoir quelque chose en rien. Pour venir à posséder tout, ne désire posséder quelque chose en rien. »Et il ajoutait : « Pour venir à l’être que tu ne goûtes pas, tu dois passer par une voie où tu ne goûtes rien. »

Ces paroles s’appliquent aussi à l’amour humain : on ne peut aimer vraiment que si l’on accepte d’abord de ne pas tout posséder. Aimer, c’est renoncer à l’illusion de maîtrise. C’est laisser être.


Le silence du Christ devant Hérode éclaire cela. Il ne répond pas à celui qui veut un miracle, mais pas une relation. De même, dans le couple, on ne parle vraiment qu’à celui qui veut nous connaître, et non nous posséder. L’autre n’est pas un remède. Il est un mystère. Il faut du silence, du temps, des renoncements pour le découvrir.


C’est pourquoi le christianisme n’appelle pas à aimer "tout le monde", mais à aimer chaque personne rencontrée comme une icône de Dieu. Ce n’est pas l’amour universel flou des réseaux sociaux. C’est l’amour du prochain, de celui qui est là, de celui qu’on ne choisit pas, de celui qu’on aurait pu fuir.


Dieu ne demande pas que nous sauvions le monde. Il nous demande d’aimer un à un.


Le refus d’aimer rend sourd à Dieu

« Vous aurez beau entendre, vous ne comprendrez pas. »(Matthieu 13,14)

Il est possible d’entendre sans écouter. De voir sans reconnaître. De chercher Dieu sans jamais vouloir qu’il entre. Le silence de Dieu, dans ce cas, n’est pas un vide extérieur : il est le reflet d’un vide intérieur. Car Dieu n’est pas absent. Il est là, mais il attend qu’on l’aime.

On peut être croyant, pratiquant, engagé… et rester sourd à Dieu, non parce qu’Il ne parle pas, mais parce qu’on ne veut pas entendre ce qu’Il dit. On veut une voix qui conforte, non une parole qui convertit. Une vérité qui rassure, non une Présence qui bouleverse. Mais Dieu ne se donne qu’à celui qui se laisse aimer.


Dans l’Évangile, cette surdité spirituelle est décrite avec gravité. Le peuple « a épaissi son cœur » (Matthieu 13,15), et la conséquence en est la plus terrible des peines : Dieu se tait. Non pour punir. Mais parce qu’Il n’a pas de place.


Saint Augustin le dit sans détour :

« Dieu se cache, non à cause de la distance, mais à cause du secret à garder. »(In Evangelium Ioannis, Tractatus II, n.16)

Mais quel est ce secret ? Ce n’est pas une ruse divine, ni une vérité élitiste réservée à quelques initiés. C’est le secret de l’amour. Celui qu’on ne peut comprendre qu’en y entrant. Car Dieu n’est pas un objet d’observation, mais une relation à accueillir. Et cette relation exige la discrétion, la pudeur, le consentement. Dieu se cache par respect. Il se cache pour ne pas s’imposer. Il se cache parce qu’il ne se donne qu’à ceux qui veulent l’aimer. C’est le secret des cœurs qui s’aiment vraiment : ils ne s’exhibent pas, ils s’offrent dans le silence.

L’amour, dans l’Écriture, n’est jamais une simple émotion : il est la condition même pour entendre Dieu. Celui qui n’aime pas, ou ne veut pas aimer, finit par ne plus comprendre. Même la foi, sans amour, devient froide, abstraite, stérile. Elle ne transforme plus. Elle analyse, mais n’adore pas. C’est ce qu’écrivait Benoît XVI dans Deus Caritas Est :

« L’homme qui veut se comprendre jusqu’au fond, non seulement selon des critères immédiats et partiels, doit s’approcher du Christ avec son inquiétude, son incertitude, sa faiblesse et sa vie. »

Mais pour rencontrer une personne, il faut s’ouvrir. Il faut être prêt à écouter, non à contrôler. Il faut être prêt à changer. Le refus d’aimer rend sourd, parce que Dieu parle à travers les visages, les blessures, les appels, jamais à travers le bruit de nos certitudes.


Le silence de Dieu n’est donc pas une vengeance. Il est une mesure de notre éloignement. Quand l’amour diminue, la voix de Dieu devient lointaine. Non qu’Il ait reculé, mais parce que notre cœur s’est fermé. Et ce silence n’est pas la fin du dialogue. Il est l’attente de notre retour.


La foi n’est pas une question — c’est une réponse d’amour

« La foi agit par l’amour. »(Galates 5,6)

Quand Pilate demande à Jésus : « Qu’est-ce que la vérité ? » (Jean 18,38), il est déjà en train de sortir. Il n’attend pas de réponse. Il interroge sans se convertir. Il questionne, mais ne regarde pas. Il y a dans son geste toute la tragédie de l’intelligence humaine séparée du cœur : la recherche de la vérité sans amour devient stérile, sans visage, sans écoute.

La foi chrétienne, au contraire, n’est pas la réponse à une énigme. Elle est une réponse d’amour à une Présence. On ne croit pas en une doctrine, mais en une personne vivante. Saint Jean-Paul II le rappelle avec force dans Veritatis Splendor :

« Suivre le Christ est le fondement essentiel et original de la morale chrétienne. Ce n’est pas une loi que l’on suit, mais une personne. » (VS, §19)

La vérité chrétienne ne se possède pas : elle se reçoit. Elle ne s’impose pas de l’extérieur, elle se propose intérieurement, à celui qui accepte d’aimer. C’est pourquoi Jésus ne répond pas à Pilate : car Pilate n’est pas en relation. Il pose la bonne question, mais refuse de regarder Celui qui, silencieux, en est la réponse.


Benoît XVI, dans Deus Caritas Est, dit très justement :

« À l’origine du devenir chrétien, il n’y a pas une décision éthique ou une grande idée, mais la rencontre avec un événement, avec une Personne. » (DCE, §1)

Croire c’est accueillir cette Personne dans sa vie. C’est ne plus fuir devant la vérité, même quand elle dérange, même quand elle exige qu’on se donne en retour. Car on ne comprend vraiment que ce qu’on aime. Saint Augustin le formule avec force dans De catechizandis rudibus :

« On n’entre dans la vérité que par la charité. » (per caritatem intratur ad veritatem, §4)

Celui qui croit sans aimer finit par faire de Dieu une abstraction. Celui qui aime sans croire se perd dans ses propres désirs. La foi, pour être vraie, doit devenir réponse vivante à l’amour du Christ, et cette réponse n’est pas intellectuelle. Elle est existentielle. Elle se dit dans la fidélité, dans l’Eucharistie, dans le pardon, dans le regard porté sur l’autre comme une icône vivante.

Et c’est pourquoi Dieu se tait parfois : non par absence, mais parce que la foi n’est pas une demande de preuve, mais un consentement au mystère.


Il parle à celui qui se laisse aimer. Il se révèle à celui qui ose s’ouvrir, non à celui qui veut démontrer.


Hérode, Pilate… et moi


Dans toute relation, surtout quand elle dure, il vient un jour où les silences prennent plus de place que les mots. On ne sait plus si l’on s’éloigne ou si l’on s’approfondit. On ne sait plus si ce qui se tait est mort… ou sacré. On voudrait que l’autre parle, qu’il nous rassure, qu’il nous ramène à ce premier jour où tout semblait limpide.

Mais parfois, il faut se poser une autre question. Non pas : “Pourquoi l’autre ne me parle-t-il plus ?” — mais :“Suis-je encore quelqu’un à qui l’on peut parler ?”


Dans la Passion, Jésus se tait. Il ne parle pas à Hérode. Il ne répond pas à Pilate. Il se tait, et ce silence est une parole plus vraie que tous les discours.

Hérode attendait un miracle. Il voulait être ébloui, séduit, impressionné. Il cherchait un feu d’artifice divin — mais il ne voulait pas du Christ. Il voulait un effet, pas une vérité. Et Pilate, lui, pose la question que tant de couples se posent à voix basse : “Qu’est-ce que la vérité ?” Mais il n’attend pas la réponse. Il sort. Il livre. Il choisit l’utile, le faisable, le confortable. Il doute, mais sans se donner.


Alors le Christ ne dit rien. Il regarde. Il espère. Il aime jusqu’au bout, mais sans imposer. Et nous, dans nos liens les plus intimes… sommes-nous Hérode ? Sommes-nous Pilate ?

Quand j’interroge mon conjoint, est-ce que j’attends vraiment sa vérité, ou bien une confirmation de la mienne ? Est-ce que je cherche son cœur… ou l’éclat de ce qu’il pourrait me donner ? Est-ce que je l’écoute encore comme un mystère à découvrir — ou comme une extension de moi, un miroir flatteur, un rôle assigné ?

« L’amour n’est plus ce qui introduit une altérité, mais ce qui tente de consommer l’autre comme une extension de soi. »— Charles Melman, L’homme sans gravité

Quand le Christ se tait devant Hérode, ce n’est pas qu’il méprise. C’est qu’il ne peut pas parler. Car l’amour ne parle qu’à celui qui veut écouter. Le silence devient alors une limite sacrée : “Je ne me donne qu’à celui qui m’accueille.”


Et dans le couple aussi, il est des silences qui ne sont pas des ruptures, mais des appels. Des silences qui disent : “Ne me cherche pas comme un miracle. Cherche-moi comme un visage.”

Aimer, ce n’est pas obtenir. Ce n’est pas convaincre. Ce n’est pas consommer.Aimer, c’est accepter que l’autre soit libre, même de ne pas briller, même de ne pas combler mes attentes. C’est ne pas fuir quand l’amour devient discret. C’est choisir encore quand plus rien ne m’éblouit.

Dans chaque couple, il y a un moment où l’on doit choisir entre Hérode et Marie de Magdala. Hérode veut un Dieu spectaculaire. Marie veut retrouver un corps blessé, un nom qu’elle reconnaît. Elle n’a plus d’attente, seulement le désir d’aimer jusqu’au bout, même sans preuve.


Et c’est à elle que Jésus parle.

« C’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère, s’attachera à sa femme, et tous deux deviendront une seule chair. »(Matthieu 19,5)

Cette parole n’est pas un simple rappel d’ordre naturel. Elle est un appel à la communion, au déplacement, à la fidélité dans la vulnérabilité.


Car on ne devient pas “une seule chair” par la fusion ou la passion, mais par l’engagement à habiter ensemble la vérité de l’autre même quand elle devient silence.

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